Delile DIMAN-ANTÉNOR
Economiste, Présidente du groupe de pilotage du Comité Guadeloupéen du Projet.

Jacky DAHOMAY,
Agrégé de philosophie

Le Comité Guadeloupéen du Projet a été officiellement installé le 03 juin 2010. Dans sa composition actuelle, il comprend plus d’une soixantaine de membres issus d’associations ou organismes de nature différente (culturelle, universitaire, politique, patronale, syndicale,…); autant dire qu’il offre une image de la société guadeloupéenne dans toute sa diversité. Suite au Congrès des 8 et 9 décembre 2011, consacré au Projet Guadeloupéen de Société, les présidents des collectivités majeures : Conseil Général et Conseil Régional ont souhaité que la société civile, dont le rôle a ainsi été confirmé, se charge de relancer et d’animer le débat. Lors de la réunion du comité guadeloupéen du projet, le 29 décembre, ils nous ont confié la mission de constituer l’équipe de direction du comité. Ils ont par ailleurs affirmé la nécessaire autonomie du comité par rapport aux instances politiques. Pour assurer cette autonomie effective, la direction du comité est assurée par des personnes de la société civile, mais les deux assemblées, avec lesquelles le comité doit travailler au quotidien, sont représentées. Ainsi est né le groupe dit de pilotage, constitué de membres du « Comité Guadeloupéen du Projet », mais aussi de personnalités extérieures, au total une dizaine de personnes. Le groupe de pilotage, accompagné de membres éminents de la société civile, a mené une réflexion pour définir une méthode de conduite des débats, des thèmes et un calendrier. Ces grandes orientations ont été présentées, discutées et entérinées en plénière du Comité Guadeloupéen du Projet le 17 février 2012 dans une note intitulée « Vivre ensemble » consultable sur le site du Projet :

www.projetguadeloupeen.com

Un thème général: vivre ensemble
Notre objectif est de permettre à la société guadeloupéenne de se recentrer ; permettre à la population guadeloupéenne de s’imprégner des questions essentielles qui se posent à la Guadeloupe. Il s’agit donc d’organiser un « débat sociétal ». Pour atteindre cet objectif, il faut à la fois provoquer l’éveil de la société civile et sa dynamisation, fournir un lieu où les questionnements et les expériences peuvent se réfléchir, aller à la rencontre des initiatives. Cela nécessite de pouvoir s’appuyer sur le réseau associatif, le mobiliser dans le sens d’une recherche de consensus, lequel doit alimenter « le bien commun ».

Des problématiques ont été retenues en 2010 et sur cette base des contributions ont été produites dont la synthèse a été présentée lors du Congrès de décembre 2011. Il s’agit-là d’un socle sur lequel il convient de s’appuyer et de capitaliser. De nouvelles thématiques sont maintenant proposées. Plus transversales, elles recoupent les premières et permettent de les approfondir, en faisant entendre la voix des « non-spécialistes », des « non-initiés ». La problématique générale étant celle du « vivre ensemble », cinq thèmes nous paraissent incontournables :

Fraternité
La société guadeloupéenne est-elle fraternelle ? Cette question peut être abordée notamment à travers les pratiques solidaires, le lien social…

Vie économique et sociale
Les relations sociales au sein de la famille, dans l’entreprise, mais aussi le rapport au travail, à la production, à l’environnement… seront à aborder;

Education, transmission
L’école, l’autorité, mais aussi les pratiques sportives et culturelles ont toutes leur place ici;

Citoyenneté
Le rapport à la loi, à la politique, aux élections, mais aussi le sens de l’intérêt public, du bien commun sont des aspects à analyser;

Projet-Guadeloupéen-de-Soci

Identité (culturelle, environnementale, économique, politique). Des questions telles « qu’est-ce qu’être Guadeloupéen ? », « existe-t-il un peuple guadeloupéen ? » ou « peut-on être français et guadeloupéen ? »…
reviennent souvent dans les débats.

Une méthode pour débattre
Sur le plan du contenu, les débats doivent permettre de mettre à plat certains travers de notre société, de notre fonctionnement « sa ki ka mal maché parapòt a nou-menm annou » et qui peuvent être de véritables freins ; à l’inverse, les débats doivent valoriser des pratiques, des initiatives positives « dé biten ki ka fèt é ki entérésan pou péyi-la ou pou pitit a péyi-la ». Ils doivent favoriser aussi la prise en compte des aspirations profondes des Guadeloupéens.

Sur le plan de la forme, il nous semble que l’utilisation de témoignages peut être une forme active et porteuse de participation du plus grand nombre à ces débats.

Un calendrier déconnecté des contingences électorales Un même thème en même temps sur l’ensemble du territoire de l’archipel. Sur cette base, les cinq thèmes retenus nous conduisent à débattre d’avril à août. Le fait que la conduite des débats ait été confiée à la société civile permet de ne pas être dépendant des contingences électorales.

Les premiers débats : quel bilan ?
Le groupe de pilotage, composé d’une douzaine de personnes au départ, s’est enrichi au fil des réunions et des débats. Mais il doit continuer d’être élargi, étoffé par des personnes ressources réparties sur l’ensemble du territoire de l’archipel. Il s’agit de débats citoyens et beaucoup de citoyens de la Guadeloupe peuvent y jouer un rôle actif. La tenue d’un débat nécessite en effet la présence d’un animateur, chargé de conduire les échanges en faisant circuler au maximum la parole parmi les participants, d’un rapporteur chargé de reproduire le plus fidèlement possible le contenu des différentes interventions. La présence de témoins et d’un expert peut s’avérer utile mais n’est pas indispensable. En fait, on constate dans certains débats, que des participants se révèlent être des témoins ou même des experts.

Le débat du mois d’avril a porté sur la fraternité. La participation a bien entendu été très inégale d’une commune à l’autre, mais de l’avis des participants, les débats sont très riches. On peut regretter la faible participation des jeunes. Il y a donc à revoir la communication en général, et vis à vis des jeunes en particulier.

Mais quel bilan provisoire peut-on déjà tirer après un mois de réunions dans les communes ?

La première chose qui nous a frappés c’est que, même quand les participants n’étaient pas nombreux, ils manifestaient un extrême sérieux dans leur participation et dans leurs interrogations. L’impression unanime qui se dégageait des échanges c’est qu’ils représentaient un moment clé dans les réflexions que suscitait la situation actuelle de la Guadeloupe. Certes, certains se demandaient si ce n’était pas le énième projet de consultation publique de l’opinion guadeloupéenne, notamment après les Etats Généraux. Malgré tout, dans l’ensemble, nombreux sont ceux qui sont prêts à jouer le jeu. Il est apparu aussi qu’il était important de dépasser les clivages politiques traditionnels pour débattre en commun de l’intérêt général de la Guadeloupe.

A la question posée, la Guadeloupe est-elle fraternelle ? les réponses ont surtout tourné autour de la notion de solidarité. Ce qui en ressort jusqu’ici c’est que si notre pays conserve un fond permanent de solidarité, les valeurs traditionnelles qui tissaient la fraternité se sont affaiblies. Partout ont été soulignées les modifications apportées, ces dernières décennies, à ces valeurs déterminant les solidarités traditionnelles, par l’évolution de notre société, sous le poids de la modernité. L’urbanisation croissante et l’évolution de l’architecture ont été avancées comme causes importantes. Mais beaucoup pensent que le développement des dispositifs étatiques ou administratifs concernant l’aide sociale a joué un rôle déterminant en ce domaine.

Ce qui est décrit souvent comme une crise des valeurs traditionnelles de solidarité est mis en relation avec le problème de l’éducation. Partout a été constaté ce qu’on peut appeler une crise de la transmission, aussi bien dans la famille que dans l’école, une véritable rupture générationnelle. Il s’agirait bien là d’une crise de l’autorité qui mine les familles et l’école. Le problème de la jeunesse semble inquiéter beaucoup nos concitoyens. Que peut être un véritable projet guadeloupéen de société si la jeunesse ne s’y intéresse pas ? N’est-ce pas là une manifestation de la crise du lien social, du vivre ensemble ?

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Toutes ces questions n’ont pas encore trouvé de réponses déterminantes ou définitives. Mais la conclusion que l’on peut tirer de nos premiers travaux, c’est que la Guadeloupe semble être très interrogative quant à son état actuel et à son devenir. Cela ne peut que nous conforter à poursuivre le débat public organisé par le Comité Guadeloupéen de Projet. Car une Guadeloupe qui se concentre et qui réfléchit sur elle-même se pose comme sujet collectif prêt à dépasser les tares léguées par le passé et à s’ouvrir sur l’avenir.