Père Paul-Antoine BERNARD

La violence en Guadeloupe est autant le fait des jeunes que des adultes. La religion a une place fondamentale dans la vie de la majorité des citoyens  guadeloupéens. Alors comment penser le rapport jeunes, religion et violence en se posant la question de savoir si la religion est source ou remède de la violence chez les jeunes en particulier. Ou encore la religion peut-elle offrir une certaine pertinence dans la résolution de la violence chez les jeunes ? Tout l’enjeu du regard proposé ici, consistera à développer l’idée qu’il y a certaines conceptions de la religion qui ne sont favorables ni à une construction de la maîtrise de soi, ni à la construction d’une paix sociale. Les dérives sont possibles et doivent être mises en lumière ; mais la raison (comprendre) peut-elle suffire à guérir ce qui est de l’ordre du sentiment, à savoir la violence humaine et dont la bible parle très largement ?
Problématiques :

La religion peut-elle être, dans les faits, une barrière contre la violence ou bien est-elle elle-même une source de violence chez les jeunes guadeloupéens ? Certaines formes de religiosité n’inciteraient-elles pas à la violence quand elles prônent la méfiance envers autrui ou la supériorité envers toute autre forme d’expressions religieuses ?

Les événements qui se déroulent sous nos yeux dans certains pays développés témoignent de cette réalité. Au nom de Dieu, des hommes de tout âge, pour défendre leur foi de toute agression liée à une oeuvre artistique, usent ouvertement de violence pour appeler au respect ! Qu’en est-il de la Guadeloupe, le lieu même de notre interrogation ?

Pression parentale ou liberté de choix ?

La religion semble occuper une place importante dans la vie des jeunes guadeloupéens et cela quelle que soit leur obédience religieuse (catholique, protestante ou autre…). Est-ce sous la pression des parents ? Est-ce de manière libre et volontaire ?

La question a son importance dans la mesure où si la liberté n’est pas à la base d’une adhésion religieuse, alors la vie religieuse et les repères de cette vie religieuse semblent prendre un caractère « superficiel ». En d’autres termes, les règles de la vie religieuse ne sont en aucune manière déterminantes pour la vie sociale du jeune. Mais dans le cas contraire, peut-on dire qu’il existe alors une vie fondée sur les valeurs religieuses contenues dans les commandements suivants :
– « À qui te frappe sur une joue droite, présente encore l’autre… »
– « Pardonnez de tout votre coeur »
– « Bénissez ceux qui vous maudissent » ?
La probabilité qu’il en soit ainsi paraît plus grande que dans le cas de la pression parentale.

Quelle religion peut garantir la maitrise de soi ?

L’autre question qui nous permettrait d’avoir plus de justesse dans notre réflexion et qui pourrait ouvrir au débat est la suivante : la violence chez les jeunes en Guadeloupe est-elle plus élevée que la violence chez les adultes, croyants ou non ? Et encore, les jeunes qui sont auteurs d’actes de violence en Guadeloupe appartiennent-ils à un mouvement religieux en particulier ou non ? Si c’était le cas, une étude pourrait être menée pour révéler à quelle religion les jeunes ayant commis des actes de violence appartiennent.

Mais pour aller plus loin, posons-nous la question de savoir si, dans son essence, une religion a vocation à freiner la violence dans la vie humaine ? Quels sont les paramètres à prendre en compte pour mesurer la pertinence d’un mouvement religieux sur la maîtrise d’un être humain, sur sa capacité à poser ou non un acte violent ?

La foi chrétienne et la non-violence

La foi chrétienne proclame la non-violence au même titre que Gandhi ou Martin Luther King même en ce qui concerne la défense des droits de l’homme. Mais entre ce qui est proclamé , ce qui est compris par les individus et ce qui est vécu, il peut y avoir un fossé sans nom. Ainsi en est-il pour toute religion et tout croyant. Cependant, même si les valeurs chrétiennes devenaient le fondement d’une vie, dans la plus grande des sincérités, faudrait-il alors espérer que les jeunes se montrent moins violents ?

Est-ce d’une évidence certaine qu’aucune religion n’incite à la violence gratuite ?

Des jeunes guadeloupéens sincères et des moyens pertinents ?

Si l’on s’arrête sur le terrain de l’Église catholique en Guadeloupe, le constat peut être fait du nombre important de jeunes (enfants et adolescents) inscrits pour la préparation aux sacrements religieux de la communion et de la confirmation. C’est un espace d’éducation à la vie de foi et à la vie citoyenne qui leur est offert pour découvrir l’importance des valeurs de respect de soi, des autres et de Dieu. Mais ce que les jeunes font de ce qu’ils découvrent comme richesse de vie dépend souvent de l’accompagnement que les parents leur offrent en témoignant de l’importance de ces valeurs.

La connaissance de Dieu et de la valeur de l’homme aux yeux de Dieu ne suffit pas pour vivre et parvenir à maîtriser ses sentiments humains d’amour ou de haine. Il faut bien plus. Quel est ce plus qu’il faut chercher ? Certains jeunes prennent au sérieux leur vie de foi (ils sont nombreux) ; d’autres, voyant une société parfois violente, ne comprennent pas comment Jésus-Christ peut inviter à tendre la joue gauche tandis que la joue droite vient d’être frappée. Ce que nous pouvons retenir, c’est que pour le « vivre ensemble » dans la société guadeloupéenne, l’Église catholique contribue grandement, avec la collaboration des parents (ce qui n’est pas toujours évident), à former la conscience des jeunes et à prendre en compte cet appel à la non-violence pour devenir des hommes et des femmes « justes » dans cette société et des hommes et des femmes défendant cette même justice pour le bien commun.

Il y a quelques mois, pour présenter le projet d’aumônerie dans les établissements publics aux parents qui le souhaitaient, ainsi qu’aux adultes concernés par le monde de l’éducation scolaire, j’ai organisé des rencontres dans tout l’archipel sur le thème de la réalité de la vie des jeunes. Lors de ces rencontres, nombres de parents sont venus dire leur souffrance et surtout leur incompréhension pour saisir en quoi la proposition de la mise en place d’aumônerie dans les collèges et lycées de Guadeloupe pourrait être une opportunité pour le mieux-vivre des jeunes. Mais la parole des adultes, loin d’accabler les jeunes croyants ou non, se voulait interpellation aux adultes.J’en prends pour exemples ces quelques expressions :
« La violence chez les adultes : « nous sommes violents nous-mêmes les adultes… Si les adultes le sont comment voulons-nous que les jeunes ne le soient pas ? » « Les enfants sont violents, mais les enfants reproduisent ce qu’ils voient en dépit du bien-être matériel et du confort dans lequel ils peuvent baigner, à titre d ‘exemple : la violence conjugale persiste dans de nombreux foyers » !

« La violence des jeunes ne viendrait-elle pas, en grande partie, de la violence familiale, conjugale, qui aurait des retombées sur les enfants ? », « Comment
nos enfants vont-ils nous respecter si nous ne leur apprenons pas à respecter les adultes autour d’eux ? », « Comment agir devant les enfants ? », « Comment se présenter devant eux ? ». Ces interpellations sont d’autant plus importantes que nombre de nos jeunes vivent des choses difficiles dans leur quotidien (racket, agressions).

C’est avec toutes ces questions posées au monde des adultes, dans un cadre religieux, que je voudrais conclure ces quelques réflexions. Celles-ci nécessitent
un approfondissement, dont la finalité permettrait la réflexion sur la sincérité de la vie religieuse chez les jeunes. Il en serait de même d’une vraie compréhension sur l’invitation chrétienne faite aux fidèles d’être des « artisans de paix » (quand bien même dans l’histoire du christianisme, il y aurait des moments d’oubli de cette dimension). Enfin qu’une relation vraie à Dieu peut conduire à une qualité de vie si véritablement il y a de la profondeur dans la démarche et une quête de sens qui ne s’arrête pas à l’unique et simple respect des traditions.