M. Bernard HOPITAL,
Président de l’ARMOS (Association Régionale des Maîtres d’Ouvrages Sociaux et Aménageurs).
Avec la lutte contre le chômage, le logement fait partie des domaines où l’action de rattrapage entrepris depuis la départementalisation n’a jamais pu être couronnée de succès, malgré des améliorations sensibles en termes de lutte contre l’insalubrité. En 50 ans, le confort des logements a connu une quasi révolution, accès généralisé à l’électricité, et au plan sanitaire, avec l’installation de wc et de salles de bains. Cependant, il s’agit de progrès qui correspondent à la première moitié du 20è siècle en Europe. Au 21è siècle, alors que ce strict minimum n’est pas garanti et que la demande semble avancer au galop quand l’offre fait du trot, la population a d’autres aspirations, comme l’accession à la propriété.
Selon l’expert, Bernard HOPITAL, en matière de logement social, l’Etat piétine, tout en affichant son volontarisme. D’où une situation de crise de la construction, au plus mauvais moment, en pleine crise économique.
L’état du logement en Guadeloupe est un sujet trop vaste pour être traité en quelques lignes et nécessite, pour en parler, de multiples connaissances historiques, sociologiques, économiques que l’auteur de cet article n’a pas la prétention de connaître. Nous aborderons donc ci-dessous essentiellement les problématiques du logement social.
Néanmoins, il est d’abord utile de rappeler quelques données sur le logement appelé « libre » ou « intermédiaire», domaine qui concerne la population, et elles est nombreuse, qui n’est pas éligible à l’accès au logement social, notamment parce que ses revenus dépassent les plafonds autorisés pour y prétendre.
Il est également important de rappeler que l’apparition d’un système de défiscalisation au travers de la loi Pons du 11 juillet 1986 a marqué le début d’une longue période pendant laquelle le logement en accession à la propriété et le logement locatif libre ou intermédiaire se sont fortement développés, permettant de loger des milliers de personnes non destinataires de logements sociaux.
Les gouvernements qui se sont succédés depuis, ont maintenu, tout en les modifiant progressivement, les dispositions de ce principe de défiscalisation, avec les lois Paul d’abord, puis Girardin, la dernière à être entrée en vigueur.
Ainsi, on observe que de 2000 à 2009, le rythme annuel de construction en logements privés, donc hors secteur social, s’est maintenu à des chiffres supérieurs à 3500 logements. Deux années apparaissent cependant comme exceptionnelles. En 2004, on a connu une baisse sensible, avec seulement 2400 logements livrés. A l’inverse, 2008 fut une année faste avec un pic de 4500 logements. Cette production de logements « privés » est fondamentale car c’est elle qui assure le processus que l’on appelle le « parcours résidentiel », caractérisé par un double mouvement qualitatif. Certains ménages passent de la location dans un logement social à la location dans un logement du secteur libre, et donc à standing plus élevé. L’autre évolution consiste à passer du statut de locataire à celui d’accédant à la propriété, notamment en villa individuelle.
On sait que culturellement, les guadeloupéens, plus encore que les français de Métropole, sont attachés à la propriété de leur logement, et ont une préférence très marquée pour l’habitat en maison individuelle, qui correspond mieux aux habitudes de vie locales, encore fortement marquées par la ruralité.
C’est la raison pour laquelle on ne peut que regretter le coup de frein brutal qui vient d’être donné à la production de ce type de logements, et qui va entraîner une baisse de production, pour deux raisons essentielles. D’une part, la suppression progressive de la défiscalisation attachée au logement libre ou intermédiaire, et d’autre part les évènements de début 2009, en particulier la médiatisation outrancière de la grève générale, qui ont refroidi l’ardeur des investisseurs métropolitains qui concouraient très largement à la production de logements locatifs.
De fait, l’impact économique et psychologique de ces deux événements a quasiment arrêté toute construction de programmes locatifs depuis le courant de l’année 2009. Pour 2010, la probabilité est que moins de 500 logements soient construits, contre 3500 à 4000 en moyenne ces dernières années.
LA COHABITATION ENTRE SOCIAL ET PRIVÉ
Le logement social est aidé par l’Etat au moyen de dispositifs que l’on appelle « aides à la pierre ».
Dans les départements d’outre mer, les crédits de l’Etat sont inclus dans une Ligne budgétaire unique.
L’aide est accordée aux bailleurs sociaux sous condition du respect d’un certain nombre de normes ou, de caractéristiques. Elle est ainsi assortie l’obligation de respecter le plafonnement des loyers. Ce loyer plafond varie suivant les trois catégories de logements sociaux. Il est de 6,26 euros par mètre carré pour les Logements locatifs sociaux (LLS), un peu inférieur, 5,06 euros/m2, pour les Logements locatifs très sociaux (LLTS) et plus élevé, soit 9,40 euros/m2 pour les Prêts locatifs sociaux (PLS). A titre de comparaison, les prix oscillent entre 10 euros et 15 euros/m2 pour les logements libres ou intermédiaires. Dans la pratique, il faut savoir que les prix indiqués, qui constituent un plafond, sont très rarement appliqués par les bailleurs sociaux.
En réalité, les loyers se situent plutôt dans une fourchette de 85 % à 90 % de ces plafonds. La traduction pratique de la situation décrite, c’est, pour un type IV de 80 m2 de surface, des loyers mensuels de l’ordre de 400 euros pour le LLTS, 480 euros pour le LLS et 680 euros pour le PLS.
Par comparaison, les loyers est de l’ordre de 800 euros pour le secteur intermédiaire et 960 euros en secteur libre.
La production de logements sociaux en Guadeloupe est assurée par cinq opérateurs regroupés en association, l’ARMOS (Association Régionale des Maîtres d’Ouvrages Sociaux). Trois sociétés d’Economie Mixte (SEM) en sont membres. Ce sont la Société immobilière de la Guadeloupe (SIG), La Société d’économie mixte de Saint-Martin (SEMSAMAR) et la Société d’économie mixte d’aménagement de la Guadeloupe, (SEMAG). Les deux autres sont deux sociétés à statut HLM. Ce sont la SIKOA, plus connue comme la Société anonyme d’habitation à loyer modéré de la Guadeloupe et la Société pointoise d’habitation à loyer modéré à forme coopérative. Ces cinq sociétés gèrent un patrimoine total d’environ 32 000 à 35 000 logements et ont produit une moyenne de 1500 nouveaux logements durant les 5 dernières années. Le besoin pour loger les populations en attente d’un Logement Locatif Social se situe entre 15 000 et 22 000 logements selon les sources d’estimation.
Cela signifie qu’il faudrait 10 à 12 ans pour résorber le retard accumulé. Et cette estimation ne tient pas compte de nouveaux besoins qui s’exprimeront entre-temps, et qui compliqueront donc la situation.
PRODUIRE PLUS POUR HABITER MIEUX
Sur la pression des organismes de logement social, des associations, des syndicats et des forces politiques, l’Etat a mis en place une réforme de la défiscalisation par la loi pour le développement des Outre-mer (Lodeom), votée courant 2009.
Pour présenter les choses simplement, le principe consiste à étendre au secteur locatif social le bénéfice de la défiscalisation qui était jusque là réservée au logement privé. Parallèlement et progressivement, il y était mis fin au bénéfice de ces dispositions dans le secteur du logement privé. En ajoutant des mesures de défiscalisation pour les investisseurs, particuliers et entreprises en matière d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les sociétés, l’Etat disait vouloir produire plus de logements sociaux et à moindre coût, donc en maîtrisant les loyers au maximum de ce qu’ils étaient au moment du vote de la loi, voire en les faisant diminuer.
En ce début de l’année 2011, ce que les opérateurs sociaux constatent, c’est la paralysie totale du système, du fait de textes d’application non encore publiés, et de mesures « non écrites » mais appliquées par les services du Ministère du Budget en charge de délivrer les agréments nécessaires à ces opérations.
Fin 2009, les organismes constructeurs de logements sociaux, appuyés par la Fédération du Bâtiment et des travaux publics et les maîtres d’œuvre (architectes, bureaux d’études) ont alerté les autorités pour leur faire prendre conscience des blocages qui auront sans doute pour conséquence de voir se construire moins de logement en 2010 et 2011 que durant les années précédentes. Cela aboutirait au résultat inverse des volontés politiques affirmées.
Les bailleurs sociaux réunis au sein de l’ARMOS démontrent qu’ils ont aujourd’hui la capacité de construire 2500 à 3000 logements par an, ce qui reviendrait à doubler leur production moyenne de ces dernières années.
Les bailleurs sociaux ont régulièrement alerté les services de l’Etat, et les politiques afin de lever les nombreux freins qui concourent aussi à réduire leur capacité de production. Il y a d’abord la rareté d’un foncier qui a donc tendance au renchérissement, l’absence de réseaux suffisants déjà existants (eau, électricité, égouts) mettant à la charge du bailleur des coûts de renforcement qui ne lui incombent pas en principe ou encore les règles de constructions sans cesse remaniées et complétées. Ainsi, la dernière en date porte sur les aspects acoustiques et l’isolation pour un renchérissement de 10 à 12% du coût de la construction. On peut ajuter la disparition d’aides du 1% logement qui permettait aux bailleurs sociaux d’obtenir des prêts à taux réduits donc améliorant le loyer d’équilibre et enfin la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) qui représente en Guadeloupe une charge sans commune mesure avec le niveau que l’on observe en Métropole.
QUELLES CONCLUSIONS TIRER DE CE BILAN ?
La Guadeloupe a besoin de logements, singulièrement de logements sociaux, avec un niveau de loyers modérés. Les instruments juridiques existent pour les construire. Il s’agit du dispositif susmentionné (LLTS, LLS, PLS, intermédiaire).
Les opérateurs pour les bâtir existent aussi. Cinq sociétés, toutes très dynamiques et ayant toutes des potentiels démontrés, que ce soit par leur foncier disponible, que ce soit par les équipes de collaborateurs, compétentes et dynamiques, dont elles sont dotées.
Il semble qu’il ne manque qu’une chose : la volonté politique. La responsabilité de l’Etat est centrale, à la fois pour impulser et ne pas freiner, par la rédaction tardive des décrets et circulaires, ou par l’observation paralysante de règles non écrites qui aujourd’hui, ont pour effet de gripper la machine.
Les bailleurs sociaux affirment qu’à très court terme, la Guadeloupe pourrait être un vaste chantier pour le plus grand bien de tous.