Carnaval

Joël RABOTEUR
Docteur ès sciences économiques, Maître de conférences en sciences de gestion, Président de l’Office du Carnaval de la Guadeloupe.

Corinne LANDAIS-RABOTEUR
Master 2 en sciences humaines et sociales mention éducation et formation spécialité IAIDL, Cadre territorial.

« Le carnaval est une fête populaire qui, à vrai dire, n’est pas donnée au peuple mais que le peuple se donne à lui-même. On donne seulement ici le signal que chacun peut être aussi déraisonnable et fou qu’il le souhaite, et qu’en dehors des horions et des coups de couteau, tout est permis. La différence entre les grands et les petits semble abolie pendant un instant : tout le monde se rapproche, chacun prend légèrement tout ce qui lui arrive, l’impertinence et la liberté réciproques sont contrebalancées par une bonne humeur générale ».

Goethe
« Le carnaval de Rome 1788 »
Voyage en Italie

Le Carnaval dans la Caraïbe, est une fête populaire qui trouve ses origines dans la colonisation. Il est l’héritage d’un syncrétisme culturel, issu d’un brassage de traditions africaines, portées par les esclaves des différentes colonies, de traditions chrétiennes imposées par les portugais, les espagnols, les français et de la culture des autochtones amérindiens. En Guadeloupe, le Carnaval est une manifestation culturelle majeure, attendue chaque année par tous.

Le carnaval en Guadeloupe est un des événements culturels les plus importants dans l’archipel. En effet, en exhumant quelques archives de l’histoire de la colonisation en Guadeloupe, on découvre avec force détails, que cette pratique puise ses racines depuis le tout début de la colonisation. Les colonisateurs sont arrivés avec leurs traditions européennes, et les ont tout simplement partagées avec les autres populations expatriées, déracinées et transportées jusqu’à nos îles, en l’occurrence, celles qui ont constitué le creuset du peuplement guadeloupéen.

Le carnaval, pour en avoir une idée précise en quelques chiffres, c’est plus de 20 000 carnavaliers, entre 50 000 à 100 000 spectateurs. C’est un spectacle haut en couleur, avec différents ingrédients: la musique, la chorégraphie, la danse et bien sûr les costumes. On note des milliers de connections internet durant la période, depuis la mise en ligne de cet événement en direct.

Le carnaval contribue, aussi, au développement économique de l’archipel Guadeloupéen, car il est un pur produit d’appel touristique. Force est de constater que de nombreux opérateurs touristiques utilisent cet événement, pour capter leurs clients, en atteste le foisonnement de magazines de bord distribués par les différentes compagnies aériennes sur les vols à destination de cette région.

À l’instar du Brésil et de certaines îles voisines de la Caraïbe (Trinidad et Tobago, Antigua, Montserrat, Saint-Vincent, la Dominique) qui ont axé leur développement sur ce segment de marché, notre Carnaval est classé aux premiers rangs des carnavals mondiaux.

Quand on observe l’immense énergie et la vitalité déployée dans le déroulement des défilés et des « déboulé », on peut s’avancer à dire qu’il contribue à canaliser, chaque année les énergies de nombreux jeunes, à libérer les corps et les esprits des moins jeunes, envahis par le stress de la vie quotidienne. De plus, il permet d’affirmer une spécificité ethnique, culturelle et identitaire, celle de montrer l’appartenance à une même entité sociale et géographique : « le peuple Guadeloupéen ».

La diversité artistique qui y est intrinsèquement contenue et développée, participe à l’insertion, à la réinsertion, voire à la resocialisation de nombreux individus. On note un nombre important de chômeurs dans les diverses associations carnavalesques et l’on peut s’interroger sur son rôle en matière d’insertion dans la société. Le carnaval, au sens premier, selon le dictionnaire Larousse, est une période de réjouissances (bals, cortèges) allant de l’Épiphanie au mercredi des Cendres. Mais les périodes et le déroulement sont différents selon les zones géographiques. En Guadeloupe, il suit cette même logique. Cependant depuis quelques années, il commence un peu plus tôt, dès le premier dimanche du mois de janvier. Sur l’île d’Antigua et Barbuda, il se déroule au mois de juillet ; il en est de même à Trinidad et Tobago. Il y a une profusion de littérature sur les différentes formes et acceptions du Carnaval, souvent liée aux aspects ethnologiques, anthropologiques, historiques, musicologiques, économiques et politiques, rattachés à un concept plus global, celui de la « fête à l’envers », la fête, se définissant comme une période de réjouissances en général, dont fait partie le carnaval.

Le sujet de cette étude ne saurait être traité en faisant abstraction de ces différents aspects nécessaires à une compréhension globale du Carnaval et des mécanismes qui le gouvernent ; ils seront exposés dans une partie spécialement dédiée. Le Carnaval en Guadeloupe sera traité à partir des bases conceptuelles sus-énoncées et de divers écrits s’y rapportant au cours de l’histoire. Sa singularité, son organisation, sa spécificité, tant sur les plans culturel, administratif, politique que social, y seront développés afin de mettre en exergue ses points positifs et négatifs, le visible, la symbolique, les dits et les non-dits, les pratiques globales, les actions et les interactions intrinsèquement contenues et développées au niveau local.

Le volet économique et social sera observé par le biais d’un organisme central intervenant dans le carnaval en Guadeloupe, à savoir l’Office du Carnaval de la Guadeloupe (O.C.G), pour repérer les voies de développement tant économique, que social, véhiculées par notre Carnaval.

Cette démarche, issue d’observations empiriques, de discussions et d’enquêtes, permettra de vérifier ou d’infirmer l’hypothèse selon laquelle le Carnaval en Guadeloupe serait vecteur de développement économique, de lien social et pourvoyeur d’insertion sociale et/ou professionnelle, donc créateur d’emplois, pour une frange de la population en marge de la société et parfois éloignée du marché du travail.

Il en découle la problématique suivante : le carnaval guadeloupéen, contribue-t-il à l’activité économique de la Guadeloupe ? Dans une première partie nous tenterons d’exposer les origines et les bases conceptuelles qui expliquent, au travers d’interprétations scientifiques plurielles et polysémiques, l’existence du carnaval dans l’île de Guadeloupe et sa persistance au travers des siècles. Dans une seconde partie, à la lueur de la méthode de la comptabilité nationale, une tentative d’appréhension de sa valeur économique sera ici démontrée, par le biais des résultats d’une étude déployée ex-ante, lors d’un dimanche gras à Pointe-à-Pitre. Puis la démonstration se poursuivra, dans une troisième partie, par une appréhension de la valeur économique totale du carnaval, l’occasion nous sera donnée d’identifier et de passer en revue ces différentes valeurs.

I. Rétrospective du carnaval d’hier á aujourd’hui en guadeloupe

Toujours en se référant à l’histoire de la Guadeloupe et à celle de sa construction, liée à un passé colonial riche de récits retranscrits ; dès le XVIIème siècle, de nombreux documents attestent des débuts du Carnaval dans l’île et dans la zone Caraïbe.

1.1 La genèse du carnaval en Guadeloupe

C’est ainsi que le Révérend Père du Tertre, qui lors de son premier voyage aux Antilles effectué en 1640, relate une coutume, fort curieuse, qui se pratique sur le bateau et ayant trait à la fête, à l’inversion, aux déguisements et autres pratiques. Ce rituel, probablement issu d’un quelconque héritage dont on ignore les origines, le laisse perplexe et il en retranscrit le déroulement, en ces termes :

[…] « La troisième chose, est une costume autant ancienne qu’elle est ridicule et plaisante, qui se pratique à l’endroit de ceux qui font de longs voyages sur mer. C’est qu’arrivant sous la ligne du Tropique du Cancer (ou deux fois l’année on a le Soleil verticalement opposé, sans qu’à midi il puisse faire ombre à une chose droite,) On fait de grands préparatifs, comme pour célébrer quelque fête, ou plustost quelque Bacchanale. Tous les officiers du navire s’habillent le plus grotesquement, & le plus boufonnement qu’ils peuvent. La plupart sont armez de tridents, de harpons, & d’autres instruments de marine : les autres courent aux poiles, broches, chaudrons, lèchefrites, & semblables ustensiles de cuisine ; ils se barbouillent le visage avec le noir qu’ils prennent au dessous des marmites, & se rendent si hideux et si laids, que l’on estimeroit de véritables Démons. Le Pilote les met tous en rang, & marche à la tête, tenant d’une main une petite carte marine et de l’autre un Astrolabe, ou baston de Jacob, qui sont des marques de sa dignité. Cependant, les tambours et les trompettes sonnent en grande allegresse, & cette boufonne compagnie tressaut de joye, pendant que ceux qui n’ont pas encore passé le tropique, de dépouillent & se disposent à estre baignez : elle fait deux ou trois tours en ce mascarade équipage, après lesquels le Pilote prend séance sur la dunette, d’où il dépêche incontinent deux de ses officiers, habillés comme je l’ay décrit, vers le plus apparent de ceux qui doivent estre lauvez ; & le contraignent & tous les autres pareillement, à venir prester serment sur la carte, qu’ils feront observer les même choses à ceux qui passeront en leur compagnie ; ce qu’ayant tous juré, on leur fait promettre de donner quelque aumône aux pauvres, & de contribuer à la bonne chere de deux jours, par quelque bouteille de vin, langue de boeuf, jambon, ou autres rafraichissements. Ce qu’étant fait, on commence à baigner.

Nous fumes traiter fort courtoisement […] : mais tous les autres passagers, hommes, femmes & enfants furent tant lavez, qu’en vérité ils me faisaient pitié. […] : Enfin toute cette cérémonie se termine par des réjouÏssances & des débauches excessives. »

Si l’on fait le parallèle avec certaines figures du Carnaval actuel et certaines pratiques, la suie des marmites passée sur les visages rappelle le corps enduit de cendres, mélangé à de la mélasse dont s’enduisent le corps les actuels masques à congo.

La présence du tambour sur le bateau, nécessite aussi d’être soulignée, car c’est un instrument de rythme, central des « mas » en Guadeloupe.

Ce rite décrit par le R.P. DU TERTRE sur le bateau, si l’on se réfère à l’article de Louis COLLOMB, peut aussi se rapprocher des processions pratiquées dans
les champs en vue d’obtenir la fertilité des sols ; C’est Celui dédié au Dieu de la vie et de la mort où l’on utilisait un navire dans lequel était placé un taureau dénommé Apis, accompagné de l’arrosage du sol avec de la farine. Sur le bateau, c’est l’eau qui a remplacé la farine, peut-être aussi afin d’obtenir la prospérité de la compagnie à qui elle appartenait et les marins qui y étaient embarqués ? Les bals et fêtes liés au carnaval, au XVIIIème siècle, sont retracés au travers des arrêts du conseil souverain interdisant les charivaris et autres fêtes et rassemblements, dont certains extraits sont ci-après communiqués en l’état :

Arrêt du conseil souverain de l’Ile de Guadeloupe du onze janvier mil sept cent soixante dix. Ce jourd’huy le procureur général du roy est entré et a dit

Messieurs,
C’est contre les assemblées tumultueuses et nocturnes que l’on nomme charivaris que je m’élève aujourd’huy. C’est contre ceux qui les font que je vous porte ma plainte, afin d’en arrété le cour, sous la peine qu’il plaira à la cour d’imposer. Si l’usage des charivaris semble avoir été toléré, contre les dispositions des lois qui les prohibent, ça, sans doute été parcequ’ils se faisaient sans scandale, sans occasionner aucun désordre, et sans troubler le repos et la tranquilité du public, et qu’il ne s’y parfois rien de contraire aux bonnes moeurs.

Un autre extrait, celui d’une ordonnance :

Ordonnance de Messieurs les Gouverneurs et Intendant pour la suppression de plusieurs fêtes, elle est du huit novembre de l’année mil sept cent soixante trois, et a été registrée au conseil de la Guadeloupe le quatorze janvier mil sept cent soixante quatorze. François Charles […] Il nous a été représenté par les habitants de cette colonie que la quantité de fêtes que l’Eglise y célèbre est nuisible à la culture des terres, en ce qu’ellesretranchent plusieurs jours de travail dans le cours de l’année, et contraire au bon ordre, à la police et même à l’esprit de la religion, en ce que lesnègres sont dans l’usage d’employer en parties de débauches, de libertinage les jours consacrés à la piété et font par là d’une institution sainte une source de désordre. […] Au XIXème siècle, c’est surtout dans les gazettes officielles de la Guadeloupe de 1811 à 1890 que l’on retrouve de nombreux écrits relatifs aux fêtes et bals donnés dans la Colonie à l’époque du Carnaval et aussi dans les gazettes politiques et commerciales de Pointe-à-Pitre.

Un texte de Granier de Cassagnac, de cette même époque, décrit un bal de nègres, donné le dimanche gras pour célébrer le Carnaval. Ce texte marque bien l’inversion des rôles hiérarchiques liés à ce moment de fête, dans les Antilles françaises et particulièrement en Martinique et Guadeloupe, il est nécessaire de reprendre certains de ses extraits pour aider à la compréhension du phénomène carnaval en Guadeloupe.

Il décrivit ce bal de la manière suivante :

« J’ai assisté au Fort Royal, le dimanche gras, à un bal de nègres esclaves, tous domestiques, donné par invitation. Je n’y avais pas été invité, mais je m’y fis conduire par Mr Francis des Roberts, qui voulut bien me présenter à sa servante, laquelle daigna m’accueillir. L’orchestre était composé de militaires blancs, payés par les esclaves ; car les blancs étaient humiliés ce jour la ; et tout était conçu dans le meilleur goût. On invitait les danseuses en leur offrant des roses mousseuses ; c’était charmant. Il pouvait y avoir environ cent cavaliers et autant de dames, tous noirs comme des culs de chaudron. Les dames étaient toutes, sans exception, en robes de satin blanc, quelques unes avec un corsage en satin cramoisi. Com aucune d’elles n’avaient de cheveux, et qu’une laine crépue d’une pouce de long eut été d’un médiocre effet, elles avaient toutes une façon de turban en satin de couleur, avec des pierreries. Leurs robes avaient régulièrement des manches longues, garnies de manchettes en point d’Angleterre et elles portaient des gants blancs. Toutes étaient chaussées de bas de soie blancs, à coins et à damassures à jour, avec des souliers de satin blanc. Du reste, jamais de ma vie je n’ai vu autant de bijoux, de turquoises, d’émeraudes et de perles ; elles avaient des brassées de colliers et une charge de bracelets. Et tout cela de l’or le plus irréprochable s’il vous plait ; car le nègre est là dessus plus fier que le blanc, et il est plein de mépris pour le chrysocale. […] C’est une habitude des nègres de s’appeler entre eux des noms de leur maitres ; et ils écrivent même ce nom sur leur linge. J’entendais donc nommer à tous moments, comme dans un salon du faubourg Saint Honoré : madame la baronne de *** ! monsieur le comte de *** ! et lorsque je me retournais, ébahi, pour voir entrer ces personnages, j’apercevais un Congo superbe, luisant, brillant, pommadé, avec une frisure pyramidale ; ou une capresse magnifique, trainant vingt aunes de satin cramoisi. Il faisait dans la salle du bal une chaleur étouffante ; ces dames s’éventaient nonchalamment avec des mouchoirs de batiste, ornés de découpures à jour, avec des valenciennes de deux pouces. J’étais ébloui ! Malheureusement, il régnait dans cette chaude atmosphère une odeur de ravet à donner des convulsions ; car voilà l’inconvénient terrible du nègre : il est beau quelques fois, mais rarement il sent bon.

La simple et fidèle description des cavaliers et des dames qui composaient la société du bal dont je parle doit faire comprendre combien nous sommes loin du bamboula et de son tambour. Ici, en effet, nous étions en plein dans les manières élégantes ; et les nègres ce soir là parlaient tous le français. L’orchestre jouait du Musard le plus pur, sauf les fautes d’orthographe. Ces messieurs et ces dames figuraient à deux quadrilles, et glissaient en dansant, avec de charmantes minauderies, ni plus ni moins qu’aux bals de la liste civile. Cependant il y en avait quelques uns qui paraissaient regretter l’ancienne danse de Vestris, comme un moyen désormais perdu de développer ses grâces. Ceux la répudiaient la glissade, et se livraient à des jetés-battus étourdissants.
Je quittai la Martinique le jour du carnaval, et j’arrivaià la Guadeloupe un jour trop tard pour assister àun grand bal travesti, donné par les esclaves à laBasse Terre, et dans lequel figuraient des nègresen François Ier et en Louis XIV, et des négresses en mademoiselle de Lavallière et en madame de Pompadour. »

Au niveau de la musique, des danses et des instruments, dans ce même ouvrage, il parlera de nègres et de négresses (bamboulas) dansant « de tout leur corps », au son des tambours pendant des heures, jusqu’à épuisement et convulsions et aussi s’arrêtera sur l’orchestre des nègres composé du tambour, du « Kakois », (l’ancêtre du « chacha » actuel utilisé dans les groupes de Carnaval) et d’un nègre tapant deux bâtons l’un sur l’autre, le tout accompagné de tapements des pieds qui ne se détachent quasiment jamais du sol, en précisant que cette danse a la particularité d’être très liée au sol.

D’autres documents, dont certains confidentiels, émanant du gouverneur de la Guadeloupe, Monsieur COUTURIER en février 1876, parlent d’incidents survenus suite à l’annulation d’un bal, au mot i f qu’un homme de coul eur, Mr LACOUMES, avait été invité, ce qui ne manqua pas de provoquer l’indignation des hommes de couleurs de Guadeloupe.
Une autre lettre de ce même gouverneur, faisant suite à une circulaire ministérielle n°255 de mai 1879 qui lui avait été communiquée, explique que les principes et les sentiments libéraux de la République, contenus dans cette circulaire, avaient été rappelés à chacun des chefs de l’administration, afin qu’ils soient strictement appliqués en Guadeloupe, par les fonctionnaires et agents de tous ordres.

Ces deux documents montrent que la chose politique, bien que peu mise en exergue, est bien présente dans le déroulement des fêtes et autres réjouissances en Guadeloupe, ils indiquent surtout que ceux qui sont au pouvoir peuvent décider de la tenue ou non de ces fêtes. Ils sont aussi la preuve que le carnaval fait l’objet de censure au travers des siècles précédents, par cette puissance politique.

1.2 Le carnaval en Guadeloupe au XXIème siècle

Le carnaval guadeloupéen du XXIème siècle est le produit de cette longue histoire. C’est une manifestation populaire léguée par nos parents, nos arrière-grands-parents, et dont la préservation est pour nous une obligation et un devoir identitaire, un devoir de mémoire.
Jubilation populaire, vu la frénésie manifestée enpareille période, le carnaval guadeloupéen de nosjours est avant tout le résultat d’un métissage pluriethniqueet polyculturel, d’une histoire qui puise ses origines depuis l’époque esclavagiste.

Annuellement, il est un point culminant et deconvergence de milliers d’individus, d’exubérancepopulaire où les multiples facettes de la vraie cultureguadeloupéenne y sont exhalées dans des formesplurielles, durant plusieurs semaines.

De nombreux guadeloupéens et des touristes tirent profit de cette période, les uns pour se ressourcer, les autres afin de découvrir « un petit bout de la culture de l’autre », tout en appréciant le génie créatif de notre peuple.

Notre Carnaval est particulier, spécifique, exceptionnel sur le plan culturel, parce qu’il est riche de sa différence et différent par sa richesse intrinsèque, si on le compare aux autres carnavals de la Caraïbe. Il est une exception, car il sous-tend une revendication culturelle, la lutte d’un peuple contre la disparition de sa culture, contre l’acculturation et « l’interculturation » due à la mondialisation. A ce propos, José Marìa AZNAR, dira :

« L’idée de créer une exception culturelle vient des pays dont la culture est en déclin, ceux qui ne connaissent pas ce problème n’ont rien à craindre. (…) L’exception culturelle est le refuge des cultures en déclin. Je ne crois pas en l’exception culturelle européenne et je ne redoute pas la globalisation. »

C’est ainsi qu’en l’observant, on peut constater que le carnaval guadeloupéen actuel, reflète cinq carnavals en un. Cela signifie qu’il existe cinq formes dominantes et différentes au sein de ce Carnaval, d’où la typologie :

Type 1 : On peut distinguer un carnaval spectacle, plus bourgeois, plus cossu, où l’on parade avec des chorégraphies accompagnées de morceaux créés spécialement pour l’occasion, dans l’optique de décrocher un prix lors des différents concours et qui est pratiqué dans les grandes villes. Il vise la séduction des touristes afin de les fidéliser, mais aussi la conquête des autochtones. Cette forme du Carnaval en Guadeloupe, surtout du point de vue de la magnificence des costumes, rappelle souvent celui de Trinidad et Tobago et du Brésil, seule la musique diffère.

Dans cette typologie carnavalesque on peut citer les groupes : « Kontak », « Waka », « Waka Chiré Band », « Vidim », « Magma », « Matamba », « Double face », « Couronne Verte », « Pikanga », « Kiss », « Gwada Rom », « Avan van », « Volcan », etc.

Type 2 : La seconde forme de carnaval exhale le patrimoine local, la culture locale, les savoir-faire traditionnels, la biodiversité locale. Ce type de carnaval s’inspire des traditions, us et coutumes et de l’environnement physique local. On peut classer dans ce registre des formations telles que : « Karmélo », « Kalson all stars », « Ti Kanno », « Restan La », etc.

Type 3 : La troisième tendance est celle des « gwoup a pò », il s’agit d’une pratique carnavalesque beaucoup plus identitaire, avec une dominante contestataire, revendicative. Ce « mouvement » né dans les années 1980, avec le groupe « Akiyo », est d’ailleurs à la base de la renaissance populaire du carnaval en Guadeloupe. Les groupes tels « Voukoum », « Akiyo », « Mas ka Klé », « klé la », « Nasyon a nèg mawon », « Riviè la », « Vim », « Nanm » sont à classer dans ce type.

Ceux se réclamant des « gwoup a pò » ont des spécificités, l’utilisation du fouet, qui symbolise en Guadeloupe la résistance au colonialisme, car ceux qui l’utilisent deviennent des maîtres du fouet ayant marqué la chair des ancêtres esclaves. Un cérémonial ouvre les « déboulés », la procession, en rang, d’une ribambelle de jeunes manipulant avec force, vigueur et habileté le fouet pour ouvrir la route au reste du groupe (en Afrique et aussi en Europe, le fouet était utilisé pour battre la terre afin de la rendre féconde).

Jean ZIEGLER, parlant des esclaves africains installés en Amazonie, précisait :

« La vigoureuse culture africaine survécut à l’assaut combiné du féodalisme colonial portugais et du climat meurtrier de l’Amazonie. Elle intégra peu à peu les survivants des sociétés indiennes détruites. […] Une diaspora noire, d’une vitalité extraordinaire, se déploie aujourd’hui dans la jungle, le long des fleuves ; Dans ces candomblés, la cosmogonie de la mort et les rites et institutions funéraires jouent un rôle quotidien et capital. […] Il est important de constater que les ravages opérés par la classe capitaliste marchande n’agissent pas de la même façon dans toutes les régions et tous les groupes que cette classe s’est politiquement et économiquement soumis. Sous le choc de l’agression, la société, caboclo s’est disloquée, désintégrée. La société africaine, par contre, a magnifiquement résisté. »

Des instruments particuliers démarquent ce type de groupe des autres groupes carnavalesques à savoir, le ka composé de peaux d’animaux tels le cabri ou le mouton, les conques de Lambis, et le cha-cha que l’on peut considérer comme le descendant du « kakois ».

Deux rythmes musicaux caractéristiques sont à la base de leurs « déboulés »: le « gwo siwo » et le « Senjan », le premier utilisé par les groupes à peaux de la Basse-Terre tel « Voukoum », le second par ceux de la Grande-Terre tel « Akiyo ».

Les « gwoup a pò », si l’on ose traduire groupes à peaux, s’inscrivent dans une pratique directement héritée des ancêtres. Chaque année, dès le premier de l’an ou, selon la culture du groupe, au début de la période du carnaval, les initiés vont pratiquer un culte issu d’une pratique forte ancienne de purification.

Ce rituel, orchestré et codifié, respecte des règles et des pratiques dont les origines très anciennes proviennent, en grande partie de la matrice africaine. L’utilisation de l’encens, les sacrifices rituels, les offrandes, reproduisent des cultes animistes que l’on retrouve en Afrique qui, malgré les siècles, ont demeuré et se retrouvent dans les « gwoup a pò » de nos jours.

Type 4 : Une quatrième catégorie de carnavaliers, « les mas » dont les premières traces se retrouvent dès le XIXème. Il en existe de différentes mouvances, il n’en sera pas fait ici l’apanage, car n’étant pas objet de l’étude.

Comme précédemment indiqué, il y a profusion d’écrits à ce sujet. Citons pour mémoire : les « mas a fwèt », « mas a miwoi » ou « misa », « mas a hangnon », « mas a kongos », « mas a konn », « mas a lanmo », « mas a lous », « mas sal », « mas moko zombi » ou « anglé si békiy », chacun ayant une présentation, une musique spécifique.

Depuis environ cinq ans, on voit se développer un phénomène nouveau, à savoir les « ti-mas modernes », qui s’inscrit dans la logique de groupes tels : « Mas Moul Massif », « Crazy Mas », « Atafaya », etc. Ces groupes sont très prisés par les plus jeunes, du fait de l’ambiance survoltée qui y règne. Les instruments qui y sont utilisés sont les grosses basses dites « Gwo bomb plastic » ou « doudoum Ka », les barils en fer martelés qui donnent une base musicale de « steel-band » musique surtout utilisée dans les pays anglophones tels, Trinidad et Tobago, la Dominique et les sifflets, tout ceci accompagné le long du circuit carnavalesque de mises en scènes acrobatiques et de séances de séduction de la gente féminine venue assister au spectacle.

Tous ces groupes ont en commun la culture carnavalesque, mais aussi actuellement une organisation juridico-administrative stricte, car constitués en association de type loi 1901.

Type 5 : Une cinquième catégorie, plus marginale, les « atypiques du carnaval », regroupant ceux qui, au gré, pratiquent l’inversion des sexes ou des rôles hiérarchiques dans leurs apparats, qui retournent vers l’enfance en bébés ou en matrice porteuse (hommes enceints), avec ou sans écriteaux revendicatifs ou satiriques ; ceux-là n’appartiennent à aucun groupe, ils défilent nonchalamment entre les groupes en comblant le vide laissé par ces derniers, pratiquant souvent la singerie par leurs mimes et amusant la galerie. Leur présence dans le carnaval n’est pas anodine. Ces « combleurs de vide », si l’on peut les qualifier ainsi, ont un rôle social, celui de combler les pauses, tant musicales, que visuelles laissées par leurs congénères défilants et « déboulants », afin d’éviter l’ennui des spectateurs, que trop las d’être tenus en haleine par des carnavaliers qui prennent leur temps.

Les différentes formes que prend le Carnaval guadeloupéen ont été observées par de nombreux praticiens et scientifiques locaux tels Louis COLLOMB, Eric NABAJOTH, Roger FORTUNÉ, Stéphanie MULOT et bien d’autres.

Certains de ces auteurs ont écrit sur ce sujet en 1991 dans « Vie et mort de Vaval » édité par l’association Chico-Rey de Pointe-à-Pitre.

Cette fête populaire connaît aujourd’hui un formidable renouveau depuis une trentaine d’années. Ce regain d’intérêt s’explique en grande partie par l’apparition récente de nombreuses structurations dans le monde des carnavaliers, par les comités, fédérations, groupements et collectifs, sous l’impulsion d’élus politiques, qui visent surtout l’intérêt économique. C’est une manne non négligeable, liée certes à une forte saisonnalité, dans l’économie de la Guadeloupe.

Les comités du carnaval et les fédérations ont un rôle primordial dans cet engouement populaire. Les institutions politiques jouent elles aussi un rôle déterminant, car actuellement il est question d’industrie culturelle, de professionnalisation des acteurs, c’est dire l’importance politique que revêt le carnaval dans cette stratégie.
Ces parades s’observent chaque dimanche en commune, et durant les jours gras le lundi et le mardi, à Pointe-à-Pitre le dimanche gras, le lundi soir (des parades nocturnes) à Saint-François et à Basse-Terre et le Mardi gras à Basse-Terre et au Moule.

Le dernier défilé, très marquant et traumatisant pour les carnavaliers, se déroule le mercredi des Cendres, où tous pratiquent le « vidé » revêtus de vêtements noirs et blancs en signe de deuil pour la mort du Roi Vaval, avec en tête de chaque groupe un « bwa-bwa », symbolisant le Roi du carnaval qui sera mis à mort brûlé vif au soir de ce jour. Une foule immense de carnavaliers envahit les rues qu’elle sillonne dans tous les sens. On a l’impression d’observer une marée humaine, incontrôlée et incontrôlable.
Le phénomène de la foule a été étudié par des philosophes, des psychanalystes, psychologues et sociologues. C’est ainsi que certains écrits à ce sujet ont été regroupés dans un ouvrage de Sylvain DELOUVÉE, dont un des écrits de Scipio SIGHELE de la fin du 19ème siècle paru dans la Tribuna

« Cette foule anonyme et diffuse, insaisissable et irresponsable, qui dispense aujourd’hui la gloire, demain l’opprobre, qui fait un jour une célébrité pour l’ensevelir plus tard d’un silence humiliant, qui élève les hommes à la hauteur des héros ou les abaisse au rang des criminels- féroces dans ses haines comme une hyène, exagérée dans ses amours comme une femme hystérique, toujours changeante comme un champ d’avoine autour du vent- c’est vraiment le problème le plus difficile qui puisse tenter l’audace d’un psychologue. » (12 novembre 1897; cité par RASPI, 1991 ; p.29).

Le Carnaval Guadeloupéen est donc un espace dans lequel chacun trouve à exprimer un positionnement par rapport à l’identité qu’il souhaite mettre en scène. C’est le moment de défoulement général d’une population, de liberté des sens, d’exubérance et de jubilation populaire.

En somme, le Carnaval Guadeloupéen a une empreinte, celle de sa diversité culturelle et ethnique, imprégnée de mysticisme et d’originalité. Concernant l’empreinte, au regard des pratiques carnavalesques étudiées au travers des époques, des lieux et des peuples, des éléments intemporels ont traversé les siècles et se retrouvent, de façon récurrente, à chacune de ces époques dans un même peuple, une même culture, un même espace géographique…

Il en est ainsi des « mas », du fouet, des miroirs, des costumes, des instruments, des danses lascives, des phallus, des retours en enfance, et de certains rites de la culture carnavalesque Guadeloupéenne. Il en ressort l’idée d’une association de ces pratiques culturelles à des éléments biologiques constituant l’Homme, à savoir les gènes. Il en découle que le carnaval guadeloupéen aurait donc cette particularité « génético-métissée », « multi-gènes », ou encore « pluri-génétique », qui expliquerait le fait que, malgré les périodes de prohibition, il se soit  transmis par les différentes générations jusqu’à ce siècle. Le carnaval serait donc un des miroirs renvoyant l’héritage génétique dont est porteur l’actuel peuple guadeloupéen, un « génotype-pluriel », un génotype chromosomique chargé d’histoire. L’association gène et comportement a d’ailleurs été abordée par Frantz FANON, il parlait du « nègre phobogène » et « anxiogène »…
Cette vision approfondie, pour être complète, doit intégrer la dimension économique.

En effet, afin d’offrir un carnaval de bonne qualité, les comités, les fédérations, les groupements, l’Office du Carnaval, les groupes, et collectivités territoriales s’unissent pour pouvoir organiser cet évènement en symbiose, selon les attentes de la population, et dans un souci de sécurité publique. Une telle organisation nécessite d’importantes ressources financières. Autant il peut être synonyme de dépenses avant et pendant son déroulement, autant il est synonyme de retombées économiques favorisant certains professionnels en relation directe avec le carnaval.

2 l’impact économique du carnaval en guadeloupe

Pour réaliser et faire vivre cet évènement à toute la population, c’est un investissement considérable qui doit être mis en oeuvre. Le coût du carnaval serait le résultat de l’addition de plusieurs aides des collectivités territoriales, notamment la Région Guadeloupe qui s’y engage fortement, du Conseil Général et des communes, des sponsors, de l’apport de chaque adhérent des groupes, et du temps associatif.

Les groupes doivent pouvoir assurer la confection des costumes pour les nombreux défilés, le transport pour se déplacer dans les différentes communes, le ravitaillement, la sécurité des adhérents lors des défilés et les assurances, le financement des différents voyages effectués,…

 Afin de rentrer dans leurs frais, ces derniers doivent jongler avec les multiples aides dont ils disposent. Ils sont soutenus par les sponsors à hauteur de 30 à 40 % des dépenses y afférentes selon les années, mais aussi par les subventions du Conseil Régional qui, en 2012, a aidé les groupes carnavalesques et les  comités à hauteur de 105 000 euros, les fédérations et le groupement Pointois pour 90.000 euros ; au total près de 370 000 euros ont été injectés dans le carnaval par la collectivité. Les mairies apportent leur aide financière aussi pour l’organisation du carnaval. Tous ces financements extérieurs permettent ainsi de réduire le coût de revient des costumes pour les adhérents entre autres.

Lors des parades de nombreux commerces profitent de l’événement. C’est ainsi que pour mieux comprendre cet impact économique nous procéderons, à partir de la méthode de la comptabilité nationale, au calcul de la valeur ajoutée produite, lors de la parade du Dimanche gras à Pointe-à-Pitre en 2012.

2.1 La valeur ajoutée au titre des effets primaires directs (1ère vague)

Si l’on considère le nombre de spectateurs estimé  à 120 000 lors de la grande parade de Pointe-à-Pitre, on part de l’hypothèse réaliste et observée que seul environ 10 % de ces spectateurs n’achètent rien du tout.

Plus de 20 euros14%
Entre 15 et 20 euros14%
Entre 10 et 15 euros17%
Entre 7 et 10 euros19%
Entre 5 et 7 euros12%
Entre 2 et 5 euros18%
Moins de 2 euros4%
Pas de réponse3%
Tableau 1 : Dépenses effectuées lors des défilés

On considère que ces visiteurs dépensent, en moyenne, 10 euros.

Comment se répartissent ces dépenses ?Les dépenses des visiteurs se répartissent en pourcentage comme suit :

Poste de dépenses%
Total100%
Taxis3%
Repas/Consommation90%
Autre achats7%
Tableau 2 : Ventilation des dépenses

D’après l’enquête, on estime que pour les taxis, la valeur ajoutée est assez forte (85% du chiffre d’affaires). Les consommations intermédiaires des taxis sont très faibles, hormis les dépenses de réparations, d’essence, de traites de voitures achetées par l’intermédiaire d’un organisme de crédit, et l’assurance des véhicules et des personnes. Il s’agit d’une activité de services, et donc à très forte valeur ajoutée.

En ce qui concerne les restaurants, la valeur ajoutée (V.A) atteint environ 60% du C.A, et le revenu distribué est de l’ordre de 30%. L’excédent brut d’exploitation (E.B.E) représente 40 % de la V.A.

S’agissant des commerces, la valeur ajoutée n’est que de 50% du chiffre d’affaires, le revenu distribué et transféré représente 60% de la valeur ajoutée. L’E.B.E atteint 40% de la valeur ajoutée.

A partir de toutes ces informations, on peut dresser le tableau suivant :

Secteurs d’activitésChiffre d’affaireConsommations ntermédiairesValeur ajoutée
Taxis
Repas
Autres
32 400
972 000
75 600
4 800
388 800
30 240
27 540
583 200
45 360
Total1 080 000423 900656 100
Revenus distribuésRevenus transférésExcédent brut d’exploitation
8 262
174 960
13 608
8 262
174 960
13 608
11 016
233 280
18 144
196 830196 830262 440
Tableau 3 : Estimation à partir de la valeur ajoutée en 2012 (en milliers d’euros)

À partir du tableau ci-dessus, on obtient le C.A de 1.080.000 d’euros. Le montant de la Valeur ajoutée s’élève à 656.100 euros. Cette somme nous permettra de déterminer la valeur ajoutée au titre des effets primaires indirects.

2.2 La valeur ajoutée au titre des effets primaires indirects (2ème vague en million d’euros)

Les consommations intermédiaires proviennent soit d’une production supplémentaire, soit d’un accroissement des importations. On ne s’intéressera qu’à la valeur ajoutée et aux revenus distribués qui profitent réellement au pays. Pour les repas et les consommations relatives à la production locale, la valeur ajoutée intervient pour 30% dans la consommation intermédiaire. Pour l’ensemble des achats (ayant dû être importés) effectués par les touristes, on n’affectera que 5% du total de la consommation intermédiaire à la valeur ajoutée. Nous obtenons le tableau suivant :

Secteurs d’activitésDépenses
Valeur ajoutéeRevenus distribués
Taxis
Repas
Autres
27 450
583 200
45 360
23 409
349 920
27 216
7 022,70
104 976
13 608
Total631 000400 545188 811
Tableau 4 : Valeur ajoutée des consommations intermédiaires au titre des effets primaires indirects

Synthèse globale

Dans cette étude, nous ne tenons pas compte des
achats effectués par les visiteurs sur place (eau
minérale, boisons, taxis et repas).
a) Effets primaires directs (en milliers d’euros)

Chiffre d’affaireConsommations intermédiairesValeur ajoutée
1 080 000423 900656 100
REVENUS DÉGAGÉS
DistribuésTransférésE.B.E
196 830196 830262 440

b) Effets primaires indirects (en milliers d’euros)

DépensesValeur ajoutéeRevenus distribués
631 100400 545188 811

Á la lueur des chiffres, on est quelque peu surpris de l’importante différence entre V.A directe et V.A indirecte. Cette déperdition considérable d’une vague à l’autre correspond à un fort coefficient de fuites, et s’explique par la part importante prise par les importations dans la consommation, ainsi que par l’importance des transferts de capitaux. Concrètement, l’analyse de ce tableau montre que les 1,08 millions de dépenses effectuées par les visiteurs lors de la parade de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe en 2012, ont généré une valeur ajoutée de 656.100 euros en 2012, et entraîné une distribution de revenus de l’ordre de 196. 830 euros. Cette méthode est très intéressante, néanmoins elle n’intègre pas suffisamment d’autres valeurs essentielles du carnaval.

3. LA VALEUR ÉCONOMIQUE TOTALE APPLIQUÉE A UN ACTIF CULTUREL : LE CARNAVAL DE GUADELOUPE

Donner une valeur économique signifie s’intéresser à sa valeur totale. Il peut paraître quelque peu présomptueux de vouloir estimer la valeur d’un actif culturel. Néanmoins une telle démarche s’avère nécessaire, surtout quand ces traditions sont non reconnues, et que l’on minimise d’autant leur utilité.  Certains actifs culturels ont un prix mais ceux-ci n’incorporent qu’une partie des valeurs. C’est pourquoi, on estime la valeur économique totale qui est la somme de la valeur d’usage et de la valeur intrinsèque. Cette dernière naît de la satisfaction procurée à un individu par le fait de savoir que cet actif culturel, en l’occurrence le carnaval, existe.

On peut représenter les différentes notions de valeur dans le schéma ci-dessous :

Schéma 2: La valeur économique totale

Le carnaval remplit chacune de ces valeurs en fonction des utilisateurs et/ou des non- utilisateurs. Pour ceux qui participent directement aux différentes parades, on peut affirmer que la valeur d’usage existe de façon directe. En effet le carnaval est exploité pour des raisons économiques.

Pour ceux qui y assistent (tourisme) la valeur d’usage est également indirecte, de plus en plus des touropérateurs vantent dans leurs campagnes de promotion
le carnaval.

Diverses fonctions régulatrices du carnaval peuvent avoir des valeurs d’usage indirectes importantes, le carnaval permet d’évacuer les tensions, le stress de la vie quotidienne et fait partager des moments d’émotion pour les participants, mais également pour les spectateurs, il sert aussi de soupape de sécurité au niveau social (maintien de liens et prévention de la délinquance).

À côté de la valeur d’usage réelle, on ne peut sous estimer les valeurs d’usage potentielles. En effet, ces valeurs se scindent en trois catégories :

Les valeurs d’option :

Les valeurs d’option concernent les utilisations futures pour un individu : opportunités de loisirs, ressources potentielles à exploiter, etc. Si l’on n’a aucune certitude quant à la valeur future d’une option du carnaval, mais que l’on estime qu’elle pourrait être élevée et que l’exploitation et la transformation en cours pourraient être irréversibles, on peut alors retirer une valeur de quasi-option en remettant à plus tard les activités de développement. La valeur de quasi-option est tout simplement la valeur escomptée de l’information qu’on obtiendra du fait de surseoir à l’exploitation aujourd’hui. Pour de nombreux économistes, la valeur de quasi-option n’est pas un élément distinct de l’avantage, mais oblige l’analyste à tenir dûment compte des conséquences d’un gain d’information supplémentaire.

Les valeurs altruistes :

Attachement au carnaval en dehors de tout usage. Beaucoup de guadeloupéens, même s’ils ne participent pas aux défilés, sont fiers de cette manifestation multi séculaire et ne souhaiteraient pas que cette tradition puisse disparaître un jour. Cette tradition est intrinsèquement guadeloupéenne. Il existe des personnes qui, bien qu’elles n’aiment pas le carnaval pour de nombreuses raisons (agoraphobie, peur de la violence, stress, angoisse,…) souhaitent néanmoins, voir préserver cette tradition « pour elle-même ». Cette valeur «intrinsèque» est souvent dénommée valeur d’existence. « Il s’agit d’une sorte de valeur de non-usage extrêmement difficile à mesurer, car les valeurs d’existence supposent que l’on effectue une évaluation subjective sans rapport aucun avec sa propre utilisation ou celle d’autrui, que ce soit maintenant ou dans l’avenir ».

Les valeurs d’héritage :

Un autre sous-groupe des valeurs de non-usage ou de protection est la valeur d’héritage, dans le cadre de laquelle on attribue une grande valeur à la culture pour les générations futures. La préservation d’une pratique culturelle fait partie de legs historiques.

Les valeurs d’héritage peuvent avoir une importance particulièrement élevée pour les populations locales qui utilisent et qui souhaitent voir ces pratiques culturelles et cultuelles transmises à leurs héritiers et aux générations futures en général. À ce titre, et au nom des générations futures, il serait souhaitable de les léguer à nos enfants (valeurs de legs), sachant qu’il s’agit là d’un potentiel inestimable !

Conclusion

Le Carnaval Guadeloupéen, de par sa diversité et sa spécificité, peut devenir un outil de développement tant économique que social.

Le potentiel économique de cette tradition qui a évolué aux cours des siècles est inestimable. Certes, il existe des méthodes quantitatives qui pourront permettre de calculer cet impact. Néanmoins, le potentiel économique social, culturel ne pourra être que sous-évalué. On ne peut en aucun cas limiter cette valeur économique uniquement à sa valeur marchande. Il faudrait, pour être objectif ou du moins pour tenter de l’être, calculer le temps associatif, le temps de réflexion, les milliers d’heures de confection des décors, des costumes, le coût économique de la solidarité entre les carnavaliers, etc. Une telle démarche est vouée à n’être qu’approximative.

Le carnaval recèle d’importantes valeurs économiques qui ne sont pas en totalité prises en compte, par manque de données chiffrées, mais aussi par méconnaissance. Il existe tout de même une méthode, celle de « l’évaluation contingente », qui serait susceptible de définir, avec une marge d’erreur relativement faible, la valeur ajoutée totale découlant de ce spectacle d’art de rue. La dimension économique est intimement liée à la dimension sociale, l’économie a une incidence sur le social. Grâce au carnaval la communauté guadeloupéenne est peut-être en train de créer un modèle de développement endogène basé sur l’économie du culturel, voire l’industrie du culturel. Ainsi, par les retombées économiques voire financières qu’il induirait, ce nouveau modèle vivifierait et pérenniserait la dynamique de ce vivre-ensemble guadeloupéen tout particulier…