Daniel FERGE & Philippe ROTIN,
pour l’association « Les agriculteurs de Baie-Mahault »
En Guadeloupe, notre agriculture reste marquée par son passé colonial et demeure structurellement dominée par la logique d’exportation au profit des marchés extérieurs. La canne et la banane monopolisent la majorité des moyens d’organisation (filières), des moyens financiers et ceux de la recherche. Cette agriculture s’oppose à une production vivrière visant à satisfaire d’abord le marché intérieur.
Historiquement, l’agriculture guadeloupéenne a d’abord été agriculture de résistance et de subsistance qui s’est développée à côté des grandes productions coloniales. Elle occupe les plus mauvaises terres et est destinée à fournir tout d’abord une production orientée vers la satisfaction des besoins de la famille du paysan qui passe la plupart de son temps à travailler sur les grandes plantations. Les excédents étaient vendus au marché.
Par ailleurs, une agriculture de cueillette s’est également développée car beaucoup de condiments, de fruits, de plantes médicinales, poussant spontanément font partie des récoltes du monde paysan. Cette pratique a favorisé un processus de sélection naturelle qui fait aujourd’hui, de notre biodiversité (animale et végétale) un système agro-environnemental adapté aux conditions de production les plus difficiles.
Aujourd’hui, avec l’avènement de la réforme foncière des années 80 et le déclin du système de production coloniale, un nouveau type d’agriculture est en train de naître. Il doit éviter de reprendre les erreurs du passé qui prônaient une pratique de monoculture intensive peu respectueuse de l’environnement et de la nature. Cette question du défi alimentaire se pose pour la Guadeloupe depuis les années mille neuf cent soixante (1960).
Il s’agit de puiser dans le savoir-faire populaire et son patrimoine afin de définir les pratiques d’une agriculture paysanne facteur de pérennité. « Quand tu ne sais pas où tu vas regarde d’où tu viens ».
Un nouveau schéma de développement agricole pour la Guadeloupe doit aboutir à une agriculture durable qui concilie emploi, production d’aliments de qualité, mise en valeur du territoire et préservation des ressources naturelles. Ce document de consensus doit s’élaborer en tenant compte des apports de l’ensemble des acteurs.
À cette étape l’élaboration d’un tel document exige la mise en place d’un partenariat puissant et pérenne mobilisant Éducation Nationale, recherche, décideurs politiques et financiers, associations de consommateurs… Il s’agit d’élaborer un contrat « Agriculture et Société » à l’image de la réflexion portée au (2ème congrès de l’UPG) sur la thématique : « agriculture et société quel contrat ? »
Le défi de l’autonomie alimentaire passe par :
1. La reconquête du marché intérieur, qui doit se manifester par une volonté politique locale forte. Pour la Guadeloupe, il s’agit de relocaliser les centres de décision concernant les affaires agricoles.
L’objectif est de donner à notre agriculture sa fonction première : Nourrir la population.
2. Le choix d’une agriculture paysanne et durable
Le monde agricole, s’il veut se perpétuer, doit choisir d’orienter le développement agricole intégré vers une agriculture paysanne performante et non productiviste, alliant tradition et modernité. Cette nouvelle agriculture doit ambitionner de devenir une force incontournable dans l’économie Guadeloupéenne.
Le défi de l’autonomie alimentaire s’est imposé brutalement vers les années 2008 avec la recrudescence des émeutes de la faim qui se sont produites dans divers pays.
À ce moment de nombreux gouvernements dont celui de la France ont pris en compte cette problématique, en faisant une priorité majeure de leur politique agricole.
Cependant pour être clair, il ne faut pas confondre sécurité alimentaire et autonomie alimentaire.
Dans le premier cas, et pour ce qui nous concerne, nous pouvons affirmer, que dans une certaine mesure, nous disposons d’une large sécurité alimentaire car d’une part, notre population ne meurt pas de faim et que d’autre part, les bateaux et les avions cargos déversent suffisamment d’aliments pour qu’il n’y ait pas risque de pénurie.
Cependant, cette situation est des plus fragiles car il suffit d’un conflit social local (grève des dockers en 2004, explosion sociale de 2009) ou de la crise actuelle qui touche l’Europe pour que l’arrivée des portes containers soit compromise.
Dans le cas de l’autonomie alimentaire, l’approvisionnement en aliments est structurellement moins dépendant de l’extérieur.
Aujourd’hui, de nombreux pays ne disposant pas suffisamment des terres arables achètent des concessions ailleurs afin d’assurer durablement leur autonomie alimentaire.
L’objectif de l’autonomie alimentaire impose l’élaboration d’un véritable schéma de développement agricole.
Éléments pour la mise en place d’un véritable plan de développement agricole pour la Guadeloupe
Cette étape nécessite une relocalisation des centres de décision capable d’adapter les décisions, notamment celles de Bruxelles, à notre réalité caribéenne et insulaire. La formule qui consiste à copier des décisions inadaptées a fait ses preuves et nous conduit à l’impasse. Aujourd’hui, il est nécessaire de construire avec les décideurs locaux, les communes et autres collectivités ainsi que les acteurs de la société (associations, Éducation Nationale, mouvement culturel, etc.).
Un plan de développement agricole adapté à une politique d’autonomie alimentaire implique notamment :
1. Une politique agricole qui met enfin les hommes et les femmes au centre des préoccupations.
Il n’existe pas aujourd’hui, dans le monde, d’agriculture qui ne soit soutenue par la collectivité publique. La Guadeloupe ne peut en aucun cas échapper à cette règle. L’État, les collectivités locales (Conseil Général, Conseil Régional, Communes) doivent jouer pleinement leur rôle sans « chantage » électoral politicien et clientéliste. Les aides à la production, aux revenus, aux actions structurantes ne peuvent souffrir d’exclusivité.
2. Le développement d’une agriculture en systèmes de productions adaptés aux différentes régions. Il s’agit de mettre en place des modes de production durable tels que l’agriculture paysanne.
D’ores et déjà, nous pouvons retenir qu’une agriculture paysanne passe :
- Par la définition d’unité(s) de productions agricoles différenciant bien le foncier en tant que capital de production et les bâtiments devant abriter les animaux, les hommes et leurs récoltes. L’exploitation agricole doit être une entité de production viabilisée (voirie, eau, téléphone, électricité) comme toute autre unité de production. – Par l’association de l’agriculture et l’élevage dans le but du recyclage des sous-produits de récolte et surtout de la production de fumiers destinée à régénérer les sols.
- Par l’obligation de diversification des exploitations agricoles car les producteurs spécialisés tombent facilement dans une logique productiviste et de rentabilité ce qui ne favorise pas la rotation des cultures et le respect de l’environnement.
3. Faire des productions cannière et bananière repensées un facteur d’équilibre des systèmes en polyculture élevage.
Elles maintiennent l’équilibre du territoire et du marché de la diversification. Leurs recettes constituent une partie importante et à peu près stable du revenu. Il faut les maintenir et les développer qualitativement.
La canne, elle, est une culture protectrice du sol (Matières organiques).
La canne et la banane ainsi que leur restructuration ne peuvent être considérées comme une finalité de l’agriculture guadeloupéenne, mais comme des moyens fondamentaux et indispensables pour une politique de développement agricole globale et cohérente. La restructuration industrielle de la filière Canne – Sucre – Rhum doit s’inscrire dans ce cadre. Il faut garantir son avenir à long terme.
4. Développer une politique foncière et agraire protégeant le foncier agricole
Pour atteindre cet objectif fondamental trois axes prioritaires :
- Il s’agit, d’une part et surtout de faire respecter le Schéma d’Aménagement Régional (S.A.R).
- D’autre part, de demander au législateur de faire évoluer la loi sur les terres en friche pour les rendre à la production. Trop de propriétaires de foncier agricole laissent leur parcelle en friche.
- Les surfaces agricoles dégagées doivent être viabilisées par la réalisation de lotissements agricoles.
5. Contribuer à l’éducation des comportements alimentaires
Le développement de la consommation des produits vivriers passe aussi par une reconquête et une rééducation du goût. Les habitudes alimentaires, dès l’enfance, sont tournées vers les produits importés.
« Nous fabriquons des enfants qui ont peur des aliments », notamment des produits du terroir avec lesquels ils n’ont pas été mis en contact très jeunes. Il y a donc un travail d’éducation alimentaire à mener auprès des enfants, dans les ménages mais aussi en partenariat avec les cantines scolaires, qui devraient privilégier les repas à base de produits du terroir. Ce travail induit en aval, une nécessaire démarche de valorisation des produits et de leur présentation par des cuisiniers locaux.
Pour consommer local, il faut connaitre les fruits et les légumes locaux. L’éducation nationale doit intégrer dans ses programmes scolaires, l’enseignement de notre biodiversité.
6. Politique d’irrigation
La fréquence, l’ampleur, la durée des calamités de sécheresse que nous subissons et la faible réserve en eau de la Guadeloupe nous interpellent. Les pouvoirs publics doivent désormais étudier la question de l’irrigation en l’adaptant à notre réalité (curage des ravines, des canaux, des puits et des mares ; petits barrages et retenues d’eau à multiplier dans les petites régions de concentration d’exploitations agricoles ; système d’irrigation économisant l’eau à encourager). Le principal des moyens financiers doit être consacré, dans un premier temps, à la réserve en eau.
L’objectif de l’autonomie ne doit pas se limiter à un slogan. L’éclosion des crises annoncées doit nous faire prendre conscience de l’état d’urgence dans lequel nous nous trouvons. La menace est amplifiée par le caractère insulaire de la Guadeloupe. Dans le cadre d’un phénomène grave et durable, la continuité territoriale sera encore plus un vain mot.
« Fo nou poté mannèv pou jaden annou arété pousé si bato. »