Mme Sylvaine BENJAMIN

Ingénieur, Directrice des projets, Ville de Baie-Mahault.

 

Le séisme du 12 janvier en Haïti a plongé le monde dans la consternation. Il est intervenu dans un pays déjà plongé dans d’extrêmes difficultés, provoquant un élan de générosité qui n’avait jamais été atteint auparavant.

En Guadeloupe, le fait marquant est sans doute la prise de conscience que « cela aurait pu être nous». Les spécialistes sont en effet d’accord sur le fait qu’il y a déjà eu des séismes de cette intensité dans le passé. Ils conviennent également que la probabilité est forte pour l’avenir et que l’incertitude concerne l’échéance. « Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, Seigneur, que tant de mer me séparent de vous ? » (Bérénice. Racine). « Dans un mois dans un an, qu’adviendra-t-il de tous ces gens ? (Françoise Sagan).

Le public privilégié des communes, ce sont les élèves des écoles maternelles et primaires. Il était donc naturel que les maires s’en préoccupassent.

Par le biais de leur association, ils ont donc réalisé un diagnostic de l’état des bâtiments scolaires de la Guadeloupe. Pour qui connaît un peu l’histoire de la construction scolaire en Guadeloupe, il n’était pas à douter que le constat serait inquiétant, vu que les normes de construction ont considérablement changé au cours des décennies récentes, postérieurement à la vague de construction qui a suivi la décentralisation et la massification des effectifs.

Sylvaine Benjamin a étudié pour nous cet inventaire de l’état des écoles et nous livre les enseignements que l’on peut en tirer pour l’avenir immédiat, sachant qu’il s’agit à la fois d’une œuvre de longue haleine et d’une course de vitesse. Vu que l’enjeu est vital, mais que l’on ignore où se situe la ligne d’arrivée, les responsables guadeloupéens doivent choisir de sprinter, sachant qu’en tout état de cause, il s’agit d’un marathon.

PLAN SÉISME

Les écoles vulnérables

La question sismique est un sujet très sensible. Le séisme du 12 janvier 2010 en Haïti et sa couverture médiatique en temps réel ont été un traumatisme pour de nombreux caribéens, les Guadeloupéens en particulier. Une question hanta les esprits. Et si c’était nous ? Et si c’était nos enfants ? Dans ce contexte, la question de la vulnérabilité de école devient tout naturellement une priorité. Toutefois, l’échelle du temps technique est lente et ne saurait répondre pas à l’inquiétude, voire à l’angoisse du grand public.

Un inventaire mal partagé

Il y a quelques années, l’ordre des architectes a milité et œuvré pour qu’un examen des bâtiments publics soit établi. Un premier état des lieux était resté relativement confidentiel. Toutefois, il avait permis de cibler certaines actions prioritaires, notamment concernant l’effectivité des secours (SDIS, CHU, Aviation civile).

Plus récemment, ce sont les Maires, responsables des collectivités communales, propriétaires des écoles élémentaires publiques, regroupés au sein de l’Association des Maires de Guadeloupe, qui ont suivi l’exemple des hommes de l’art et ont initié un inventaire sismique portant sur le parc scolaire de la Guadeloupe.

Cette démarche a nécessité du temps, car il était nécessaire de mettre en place une méthodologie, puis de recourir à des marchés publics, dans un domaine technique auquel le recours était peu fréquent en France. Ce préalable réglé, la mission s’est réalisée dans des délais relativement brefs.

La réserve que l’on peut émettre sur ce travail de diagnostic est une l’association insuffisante des ressources humaines des communes. Les services techniques en particulier, qui connaissent bien, techniquement et historiquement, les bâtiments dont ils ont la charge n’ont pas été sollicités pour participer aux visites. La présentation du rapport fut globale et générale.

Les rapports écrits portant inventaire ont été remis aux mairies en juillet 2009, lors de 2 séances de présentation communes à toutes les mairies de Guadeloupe, à laquelle ont participé, dans le meilleur des cas, un élu et un technicien communal. Aucune séance de présentation par commune, ni avec une commune en particulier, n’a été organisée.

Contenu de l’inventaire

Cet inventaire, plus que nécessaire, a le mérite d’exister. Il présente l’avantage d’établir une priorisation des interventions à planifier. L’ordre de priorité a été établi sur la base de la probabilité annuelle d’observer au moins une victime. Ainsi, pour simplifier, les bâtiments à la fois les moins solides et abritant le plus grand nombre d’enfants sont classés en priorité n°1. Un bâtiment tout aussi fragile, mais abritant l’administration ou une installation sanitaire n’aura pas été classée pas en priorité 1.

Une fois l’ordre de priorité établi, le rapport édicte également des préconisations sur les suites à donner. Trois situations sont identifiées. Dans un certain nombre de cas, une démolition s’impose car il n’y a rien d’autre à faire. Dans d’autres situations il est techniquement possible d’entreprendre un renforcement, mais celui-ci s’avérerait trop onéreux, alors là aussi, le rapport préconise une démolition. Soit enfin le confortement est préconisé parce qu’il est techniquement et financièrement opportun.

Le chiffrage de tous ces travaux est établi sommairement, en se limitant aux travaux structurels. Ainsi, les travaux induits, comme les travaux d’adaptation électrique, de reprise de carrelage ou de peinture ne sont pas chiffrés.

Un chantier titanesque

Le plan évalue à 485 millions d’euros ces travaux structurels de 34 communes, représentant un total de 313 écoles. Un montant susceptible de décourager les bonnes volontés quand on sait que les budgets d’entretien des écoles et l’organisation des services ne permettent même pas, dans certaines communes, de financer les petits travaux urgents. Les associations de parents d’élève doivent parfois engager des opérations de protestations pour obtenir la réalisation de travaux élémentaires de sécurité tels des infiltrations d’eau s’écoulant sur un interrupteur. La tâche est donc immense. Par ailleurs, on n’en est qu’au stade de l’inventaire et avant d’envisager la réalisation des travaux, il faut franchir différentes étapes, dont certaines ne sont pas sans soulever des difficultés. La recherche de foncier, domaine dans lequel la plupart des communes ne dispose pas de réserve. Un diagnostic technique complémentaire sera le plus souvent nécessaire lorsqu’un confortement a été préconisé. Pour les reconstructions, des études de programmation seront à réaliser.

Dans une démarche réfléchie de programmation, il n’est pas envisageable de reconstruire à l’identique, ni conforter une école non ventilée, possédant une cour trop petite, n’ayant pas de parkings ou pas d’interface avec son quartier environnant. Or les financements de l’Etat ne sont destinés qu’à la préservation des vies humaines avec une exigence de plus grande rapidité. Les collectivités sont confrontées à la situation dangereuse et très frustrante d’être acculé à faire vite, avec le risque de faire mal. L’enjeu est d’autant plus important que l’on construit pour plusieurs siècles.

Enfin, la réalisation des travaux sera conditionnée par l’effectivité d’une opération « tiroir » car des programmes de cette importance ne sont pas envisageables durant les deux mois de vacances scolaires.

Les communes en dés…ordre de bataille

L’étude ayant été menée par l’ensemble des maires, regroupés au sein de l’AMG, il semblait intéressant de continuer à mutualiser les forces pour envisager les travaux. L’AMG et son conseil juridique ont alors travaillé sur cette idée directrice.

L’éventualité d’une structure intercommunale a été développée, mais elle impliquait le transfert des écoles et de tous les travaux sur lesquels les Maires auraient alors perdu toute maîtrise. Ces derniers ont parfois déjà beaucoup de mal à expliquer à leurs administrés pourquoi ils sont impuissants en matière de réseau d’eau et assainissement, ou d’électrification. L’expérience contrastée de la gestion de la notion de proximité dans les structures intercommunales existantes ne pouvait que les dissuader d’y ajouter les écoles. Le Maire, face une association de parents d’élèves ne souhaite pas être contraint de confesser sa dépendance par rapport à une structure intercommunale qui aurait donné priorité à des travaux à réaliser dans une autre commune.

Cette option fut donc abandonnée, et on peut regretter qu’aucun plan B n’ait pas été envisagé.

Pourtant, chaque commune restant maîtresse de son patrimoine, il existe des possibilités de travailler ensemble. Différentes formules de coopération sont possibles. Un réseau de techniciens peut être encouragé et accompagné par l’Etat, logistique, formation, conseil, un dispositif de groupement de commande offert par le code des marchés publics, afin de mutualiser les procédures de désignation de prestataires. A titre d’exemple, l’Etat a ainsi mis en place un plan d’urgence concernant la construction et la modernisation de ses prisons, qui permet le recours au partenariat public/privé sans conditions.

En définitive, chaque commune s’est retrouvée isolée, parfois même en concurrence avec ses homologues pour obtenir des financements.

Sur le terrain

Lorsque l’inventaire sismique de ses écoles a été remis à la commune de Baie-Mahault, le groupe scolaire de Convenance était en cours de construction. Les responsables de la ville ont aussitôt décidé de s’attaquer aux priorités 1 de l’inventaire, à savoir l’école élémentaire de Calvaire et une partie des bâtiments des écoles Louis Andréa I et II du centre bourg.

Conscients du délai nécessaire à une opération de construction, les élus ont décidé de mettre à profit la fin de ce chantier pour vider au maximum les bâtiments dangereux, à savoir l’école de Calvaire et une partie d’un bâtiment annexe de Louis Andréa I. Cette action a été accompagnée par des fonds du plan séisme, via le FEDER, pour un taux de cofinancement de 14 % de la totalité des coûts représentant 50 % du coût du gros-œuvre. Une fois réalisée cette opération d’urgence, il reste le plus difficile.

Le groupe scolaire de Calvaire est au cœur d’un hameau qui a une identité propre, comme d’ailleurs d’autres sections de Baie-Mahault. Lorsqu’un projet relativement plus simple comme le groupe scolaire de Convenance a mis 4 ans à se réaliser, on ne peut guère espérer que le délai soit plus court pour celui de Calvaire.

Les écoles Louis Andréa I et II constituent, avec une école maternelle, un îlot situé dans l’entrée du centre bourg de Baie-Mahault. Deux questions cruciales s’y posent. Faut-il conforter ou démolir ? Répondre à cette question impose un diagnostic technique portant à minima sur la structure du bâtiment. Au moment de rédiger le cahier des charges de cette mission, les techniciens communaux se sentent bien seuls, malgré l’existence du CAUE, du guichet unique et de la cellule centrale interministérielle d’appui au plan séisme Antilles. Il faut encore ajouter deux questions subsidiaires. La mise aux normes doit-elle se limiter à la structure ou doit-on l’élargir à la sécurité incendie, à la performance énergétique, ou encore à l’accessibilité handicapés ? Qui financera tous ces travaux, si l’Etat se limite à la structure ? La seconde série de questions préalables concerne l’opportunité de changer la vocation pour cette surface importante du centre-ville. N’est-ce pas l’occasion de renforcer le maillage viaire actuellement insuffisant ? Ou bien de conforter l’offre de stationnement? Ou encore de délocaliser une des écoles ? Ou les trois à la fois ? En cas de confortement du bâtiment principal, faut-il conserver les annexes construites au fil du temps alors que les financements ne sont pas prévus pour ses annexes moins dangereuses ? Comment intégrer les mutations de l’environnement proche des écoles à la réflexion globale sur l’aménagement de la ville, déménagement du garage, construction du gymnase et requalification de la rue Eutrope Marian, aménagement des abords du stade, etc. ?

S’agissant des autres écoles, l’ampleur de la tâche et les calendriers prévisionnels ne permettent pas de consommer les crédits que les services de l’Etat se sont ingéniés à mettre en place. Il est maintenant envisagé de privilégier des travaux moins importants et donc plus rapides à mettre à exécution. Cette formule est de nature à inciter les communes à travailler concomitamment sur l’ensemble de leur parc scolaire.

Compte tenu de l’ampleur du chantier, le programme de mise aux normes du parc scolaire de la Guadeloupe pourrait s’étaler sur une durée supérieure à 50 ans. Un réseau technique doit se mettre en place à l’échelle de la Guadeloupe sur cette question et la possibilité de fédérer les énergies. Dans ces conditions, parallèlement aux travaux, ne faudrait-il pas se préparer à améliorer notre anticipation de la gestion de crise, et surtout à vivre un séisme majeur avec des victimes.

 

 

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