LES-AMARREUSES-DE-JABRUNAlain MAURIN,
Maître de conférences de Sciences économiques à l’Université des Antilles et de la Guyane et membre du Laboratoire d’Economie Appliquée au Développement (LEAD) rattaché au Centre de Recherche en Economie et en Droit du Développement Insulaire (CREDDI).

La problématique de la redynamisation et de la réussite de la production locale constitue indéniablement un défi. Un défi au centre des préoccupations des acteurs pilotes de la prise de décision dans les lieux de pouvoir, les collectivités territoriales, l’État et également les instances supranationales.

Dans la sphère géopolitique de l’Europe et de la France en particulier, elle apparaît comme l’une des thématiques transversales. Cette question de la préservation positive de la production locale est liée à de nombreux sujets qui ont rythmé les agendas des négociations régionales, nationales et internationales des politiques économiques, ces dernières années. De ce fait, elle se retrouve aujourd’hui au centre des débats de l’actualité économique et sociale. Citons rapidement certains des sujets qui reviennent de façon lancinante lors des forums économiques mondiaux : quels arbitrages concernant le monde agricole ? Quelles ambitions et quels projets face au déclin industriel ? Comment préserver la diversité des modes de vie et des terroirs ? Comment marier artisanat et attractivité du territoire ? Comment concilier les nouveaux enjeux environnementaux et la question des circuits courts dans les choix de consommation, etc. Ces multiples sujets et questionnements illustrent le rôle central de la production locale d’un pays ou d’une région en recherche d’un meilleur devenir.

Dans les D.O.M, singulièrement en Guadeloupe, cette question du « produire local » est aussi au centre des débats, bien avant 2009 et encore plus après la fameuse crise sociale de janvier-mars 2009. Néanmoins, en termes de bilan et après plusieurs décennies de mise en application de stratégies de développement régional, la « production locale » présente les stigmates d’une sous-valorisation quasisystémique de ses potentiels qui sont pourtant considérables. Aujourd’hui, elle apparaît comme une thématique galvaudée, citée de manière récurrente dans les discours et aussi dans les objectifs de l’action publique, mais elle peine encore à se hisser dans des réalités macroéconomiques plus lourdes et à être le but d’une appropriation collective.

À quelques mois de rendez-vous cruciaux pour l’archipel et sa population : nouvelle fiscalité remplaçant l’actuel régime d’octroi de mer en vigueur jusqu’au 1er juillet 2014, adoption du projet guadeloupéen de société ou encore rédaction du prochain programme opérationnel (PO) 2014-2020 (à achever en 2014), il est selon nous, d’une impérieuse nécessité d’élaborer et d’appliquer enfin, une stratégie complète et cohérente de développement de la production locale.

Les difficultés de la production locale

Il est incontestable que sur ses espaces géographiques d’envergure réduite, la Guadeloupe est dotée aujourd’hui de technologies et de savoir faire lui permettant d’offrir une vaste palette de productions locales, englobant les productions alimentaires et les autres biens de l’artisanat et de l’industrie. Les potentialités de l’appareil productif sont donc bien présentes mais, malheureusement, leur sous-valorisation demeure d’actualité.

Les difficultés structurelles
Des champs d’analyse consacrés aux économies des régions et départements d’Outremer, la question de l’identification des origines de leurs difficultés fait partie des interrogations pour lesquelles il existe un consensus global.

Il est aujourd’hui reconnu que les situations d’insularité, d’étroitesse des marchés domestiques, d’éloignement des grands marchés, etc., constituent des handicaps et des facteurs pénalisant(s) qui freinent considérablement leur développement. Ces facteurs négatifs engendrent des difficultés structurelles qui se manifestent de manière différenciée d’un territoire à l’autre. Notons cependant que ces difficultés sont toutes bien plus aggravées qu’au plan national ou à l’échelle des régions de l’Europe. Il n’est pas utile de les expliciter, mais tout au moins l’on peut rappeler que les D.O.M, R.O.M ou R.U.P se distinguent des autres régions françaises ou européennes à plusieurs niveaux.
D’abord par leurs mauvaises performances macroéconomiques : leur taux de chômage deux à trois fois supérieur à la moyenne nationale, leur dépendance notoire aux importations, le poids élevé de l’administration dans l’emploi, le coût de la main d’oeuvre qui pèse fortement sur leur compétitivité, leurs modèles de création de revenus de plus en plus fragiles, etc. Ensuite par leur manque d’infrastructures dans certains domaines tels que le sport, la culture, les transports collectifs, la gestion de l’eau et le traitement des déchets. Également par la faiblesse de leurs relations économiques avec leurs environnements géographiques immédiats, etc.

En dépit de cet ensemble de contraintes structurelles, il faut reconnaître cependant que d’autres éléments explicatifs interviennent dans la liste des facteurs qui entravent l’élargissement des activités productives. Nous abordons dans les points qui suivent ceux qui, à nos yeux, sont les plus importants.

L’insuffisant soutien des consommateurs guadeloupéens Il est regrettable que des dizaines de produits proposés par des entreprises guadeloupéennes n’aient pas pu rencontrer le soutien significatif des consommateurs locaux. Citons pêle-mêle : chips, farine, semoule de banane, farine de dictame, bière locale, boissons gazeuses locales, confiserie, eau et produits dérivés, articles d’artisanat (bijoux et meubles de décoration)…
Arrêtons-nous un instant sur l’exemple de la bière locale qui est la boisson fermentée la plus consommée au monde. Symbole d’affirmation de la fierté nationale, dans chaque région d’Europe, dans la Caraïbe, etc. Comment comprendre que partout, contrairement à la Guadeloupe, il y a une fierté à montrer et consommer sa bière produite localement, la Bourbon à l’île de la Réunion, la Pietra en Corse, les nombreuses bières dans chaque département de l’hexagone. Dans la Caraïbe, c’est le cas avec la Banks à la Barbade, la Presidente à la République Dominicaine, la Prestige en Haïti, la Red Strip à la Jamaïque, la Carib à Trinidad et Tobago que nous consommons beaucoup ici.

Est-ce satisfaisant de constater l’expérience de la Gwada ? Il s’agit d’un produit très original, avec avantage de se démarquer et de présenter des saveurs familières de la canne ou du rhum. Pourtant, elle n’a pas rencontré de succès sur le marché domestique. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’a pas bénéficié de la solidarité des Guadeloupéens. Or, ce n’est point un problème de prix puisqu’elle coûte moins cher que bon nombre de bières vendues dans les supermarchés de l’archipel.

L’attitude critiquable de la grande distribution
En 1983, l’archipel comptait 13 magasins de type grande surface pour une superficie totale de vente égale à 19403 m2. Une quinzaine d’années plus tard, en 1998, ces chiffres sont passés respectivement à 47 et 46712 m2. Durant cette période, comme au plan national, ce développement a soulevé de vives critiques à l’échelle locale, leur attribuant la responsabilité de la mort lente du petit commerce (petit lolo, boulangerie, boucherie, etc.), la transformation de territoires régionaux en société de consommation, etc. Malgré l’adoption de plusieurs lois en France visant à limiter l’essor de la grande distribution et protéger le petit commerce, on a assisté en Guadeloupe à la poursuite du mouvement de renforcement du nombre de grandes surfaces. Au 1er janvier 2009, on dénombre ainsi 55 supermarchés ou hypermarchés.

Après ces quelques éléments rapides sur la croissance des grandes surfaces en Guadeloupe, que répondre à la question « fallait-il permettre leur implantation ? »

Avec le recul nécessaire, il importe de garder en tête qu’un supermarché ou un hypermarché est un modèle d’équipement commercial. Il est clair que ce modèle a apporté une grande commodité à la fois pour le client et pour le distributeur. Dans le même ordre d’idées, en regard de son poids en tant qu’employeur et créateur de valeur ajoutée, il faut aussi souligner que la grande distribution est devenue en Guadeloupe un acteur incontournable du tissu économique.

Un autre modèle de commercialisation aurait-il permis un meilleur développement du commerce et de l’économie ? S’il est délicat d’apporter des éléments de réponse à cette question qui appelle d’ailleurs à un exercice d’imagination assez difficile, au final, en se plaçant dans l’hypothèse de tel ou tel scénario, il semble bien que ce n’est pas tant l’outil en lui-même qui pose problème, mais plutôt son absence de régulation.

Imaginons un instant toute la puissance de la grande distribution prenant fait et cause pour la production locale, faisant l’effort de la soutenir véritablement. Ce serait des dizaines d’entreprises en meilleure santé, un vrai coup de fouet pour l’emploi dans notre archipel. De notre point de vue, la question de la pratique du tout import de la grande distribution est une problématique cruciale. La pratique de l’import-export doit-elle perdurer uniquement sous l’angle de recherche de marges commerciales optimales, au détriment de l’intérêt collectif ? Une vision de l’import-export au service du développement économique est-elle envisageable ?

Dans la continuité des réflexions ouvertes durant la crise de janvier-mars 2009 sur le rôle des grandes surfaces dans le maintien des déséquilibres économiques actuels dans les D.O.M, ne paraît-il pas souhaitable d’examiner les paramètres institutionnels autant que législatifs qui pourraient permettre un renforcement de leur régulation ? Le champ de ces interrogations, à n’en pas douter, dépasse le cadre économique…

L’enjeu de la substitution aux importations

Il fut un temps où les Guadeloupéens plébiscitaient une myriade de produits de leurs terroirs, en provenance des diverses communes de l’archipel, en les privilégiant dans leurs achats quotidiens, mensuels ou annuels. En effet, qu’il ait pu s’agir de produits provenant des professionnels de l’offre des biens d’alimentation (agriculture, viande, pêche) ou des artisans impliqués dans la fabrication de biens de consommation voire de biens intermédiaires (travail du bois, etc.), il faut se rappeler que jusqu’au début des années 1970, la consommation a été longtemps satisfaite par la production locale.

Amorcé durant les années 1980, le renversement radical de la provenance des biens consommés localement est devenu effectif progressivement au cours des années 1990, avec l’apparition de taux de couverture de moins de deux chiffres.

En Guadeloupe, comme dans le cas des autres D.O.M, il y a un consensus pour admettre que cette situation traduit l’échec de la politique de substitution aux importations qui, par ailleurs, ne doit pas constituer l’unique pivot de la stratégie de développement pour les décennies à venir.

Rappelons que bien avant leur utilisation par les pays d’Amérique latine et de la Caraïbe, des instruments fiscaux de protection de la production locale ont été appliqués dans les D.O.M très tôt. Officiellement, la taxe de l’octroi de mer a été introduite dans les colonies des Antilles et de la Réunion par le sénatus-consulte du 4 juillet 1866. Ensuite, avec l’adoption de la loi de départementalisation du 19 mars 1946, les dispositions concernant l’octroi de mer ont été maintenues en vigueur. Il est important de mettre en lumière qu’au cours des décennies suivantes, le régime de l’octroi de mer a fait l’objet de différentes réformes sans jamais connaître de réelles remises en cause.

Dès les premières décennies de la départementalisation, le régime de l’octroi de mer est progressivement apparu comme un des pivots du mode de développement des D.O.M. Avec cette taxe ainsi que d’autres instruments, un véritable régime fiscal a été mis en place durant cette période pour répondre à la stratégie d’import-substitution. En dépit de la succession des gouvernements en France et de la mise en oeuvre de politiques économiques dont certaines ont impulsé et abouti à des transformations profondes des économies des D.O.M, il faut relever que la remise en cause de l’octroi de mer n’a jamais été portée par une volonté politique significative. Plus encore, tout au long de ces dernières décennies de montée en puissance de la politique européenne et de ses décisions et implications dans les régions ultrapériphériques, il faut bien noter que la réalité de l’octroi de mer demeure celle du statu quo

Cette politique de développement repose sur le remplacement progressif des importations de biens de consommation sur le marché intérieur par les biens issus de la production locale et nécessite l’adoption d’un protectionnisme éducateur, c’est-à-dire accompagnant le développement des activités nouvelles à l’abri de la concurrence internationale. Mais avec le recul nécessaire, après plusieurs décennies de mise en oeuvre, le bilan quant à l’efficacité de ce dispositif est globalement un échec.

Quelles réponses alors, entre son abandon, à l’instar de divers pays qui ont opté pour ce choix de protectionnisme et, à l’inverse, sa poursuite mais nécessairement sous les costumes d’une réforme significative ?

La stratégie d’industrialisation par substitution aux importations (isi)

Le modèle d’industrialisation par substitution aux importations, en fait prôné par R. Prebisch (1950), principal représentant avec C. Furtado de la CEPAL (Commission Économique pour l’Amérique Latine, 1948), a influencé la politique d’industrialisation de l’ensemble des pays en développement (P.E.D) après la seconde guerre mondiale.

La stratégie vise à remplacer progressivement les importations par une production locale en commençant par les industries les plus simples (vêtements, produits alimentaires,..) et en remontant vers les industries plus complexes (biens de consommation durables,…).

Idée apparemment séduisante, elle a été adoptée en Amérique Latine dans les années 1930 et 1940. Ensuite, dans les années 1950 et 1960, de nombreux pays ont suivi ce modèle (Corée du Sud, Iran, Inde, Taiwan,…).

Dans le cas africain, elle n’a pas répondu aux espérances des dirigeants. Afin de comprendre ses atouts et ses faiblesses, il convient tout d’abord d’analyser les moyens utilisés par le modèle de l’ISI et de voir ainsi comment il a illusionné puis désillusionné nombre de pays, notamment les pays africains.

Les moyens de l’ISI : Le modèle de l’ISI trouve son fondement à partir de l’interrogation suivante : pourquoi, dans un premier temps, ne pas privilégier les activités industrielles au plan local pour lesquelles, ainsi qu’en témoignent les importations, une demande intérieure existe ? Pour mettre en oeuvre ces activités, l’ISI utilise comme principaux moyens : les tariff factories, les taux de change multiples, la création d’économies externes (Neme 1991).

Les tariff factories : Les droits de douane élevés sur les produits finis et nuls ou très faibles sur les inputs favorisent, en raison de l’effet de consommation et de la protection effective élevée, l’implantation d’industries de montage à partir des pièces détachées. C’est ainsi que s’est implantée l’industrie automobile au Nigeria, Maroc, Égypte et Afrique du Sud.

Les taux de change multiples : Les taux de change multiples consistent à adopter des taux différents selon la nature des importations (par exemple : un taux officiel élevé pour maintenir le prix des importations indispensables et un taux libre, plus déprécié, pour décourager les importations de luxe) ou selon les devises (avoir un taux moins déprécié avec tel pays duquel on veut encourager les importations, et un autre taux avec le reste du monde).

La création d’économies externes : Les partisans de la priorité accordée à l’industrialisation privilégient surtout le jeu des économies d’échelle et des économies externes. Ainsi, Hirschman (1964) distingue deux types d’investissements :

  • ceux qui concernent les activités directement productives (ADP) pour lesquels le critère de choix est celui de la rentabilité économique ;
  •  ceux qui ont trait aux infrastructures économiques et sociales (IES) qui conditionnent le développement en créant l’environnement approprié à l’essor de l’investissement productif.

La mise en place de nouvelles industries exige un ensemble de mesures favorisant l’accumulation du capital dans les activités manufacturées au détriment des importations. Cette politique nécessite d’importantes mesures de protection douanières, un accès facile aux crédits manufacturiers, les subventions et le cas échéant l’encouragement des capitaux étrangers par l’octroi de garanties de rapatriements des bénéfices.

Beaucoup de pays comptèrent sur leurs exportations dont agricoles pour engendrer les devises qui leur permettraient de financier les biens d’équipement (exemple de l’Iran s’appuyant sur l’exportation de son pétrole).

Dans un premier temps, cette stratégie rencontra un succès considérable en particulier pour les biens de consommation durable. Le Brésil aboutit ainsi dans une deuxième phase de substitution avec l’implantation d’industries lourdes et de biens intermédiaires.

Toutefois, cette stratégie atteignit des limites et progressivement des contre-performances apparurent. La lecture libérale (notamment celle de la Banque mondiale) mit en évidence le problème de la surprotection des industries qui, en absence de concurrence, menait à des résultats médiocres. Soit en raison de leur qualité soit de leur prix, les produits s’écoulaient très mal sur le marché mondial et ne soutenaient pas la concurrence internationale. L’Etat était de plus en plus présent et suppléait aux défaillances de l’initiative privée.

Sources : Siméon Maxime Bikoué, Industrialisation par substitution des importations en Afrique et compétitivité internationale : une revue critique (http://www.codesria.org/IMG/pdf/6-_Bikoue.pdf).

La grande majorité des acteurs-décideurs prônent la recherche d’un modèle de développement endogène. Sans doute la solution est-elle là. Mais pour être complet, efficace et surtout pérenne, ce modèle devrait être adapté de manière à combiner d’une part des dispositifs stratégiques d’une croissance fondée sur la substitution d’importation et, d’autre part, l’obligation d’une recherche de compétitivité et d’une ouverture à la concurrence internationale.

En effet, au regard de leurs handicaps structurels, les D.O.M pourront difficilement se passer des dispositifs juridiques permettant la protection de leurs activités locales menacées par la concurrence des importations. Cependant, compte tenu du contexte de la mondialisation (ouverture des marchés prônée par l’O.M.C et par l’Europe elle-même), de la soutenabilité à long terme des règles protectionnistes de plus en plus décriées, il devient clair que nos économies doivent affronter le défi de la redynamisation de leur tissu productif.

Les perspectives

La problématique de l’emploi

Très souvent, la Guadeloupe s’est distinguée au sein de l’ensemble français comme un département affichant l’une des plus fortes dynamiques de création d’entreprise. La dynamique de création d’établissements a forcément un impact sur la création emplois, avec « a minima » la création d’au moins un emploi pour chaque nouvel établissement, celui du porteur du projet. Il est dès lors réjouissant de constater les espoirs portés par des initiatives positives en matière d’activités nouvelles dans le tissu productif. Mais à l’inverse, il est désolant, triste, démobilisateur… de constater l’impact négatif lié à leur échec et à leurs conséquences sociales et économiques.

Du temps de la présence forte d’entreprises fleurons et de produits originaux tels ceux de la Société antillaise de découpe et de charcuterie industrielle – SADECI- et son produit-phare le Jambon Rio, la gamme Bichon (farine de banane plantain, semoule de banane, chips salés de banane plantain), la bière Gwada avec ses traits uniques de parfum de rhum et de canne, ce sont des dizaines d’emplois directs que généraient chacune de ces entreprises et, de manière cumulée pour les filières, des centaines d’emplois à travers la dynamique du circuit économique (commercialisation, transport, marketing, etc.).

Quelle fierté de voir ces professionnels de la filière des boissons se donner pour élaborer leurs gammes d’articles novateurs à l’instar des boissons telles que : Kanasao (première mondiale dans la commercialisation de jus de canne stabilisé, sans apport de produits chimiques) ; le « Blanc Moelleux de Banane » qui est une boisson apparentée au vin, issue de la valorisation de la banane ; les nombreux sodas originaux comme Ti Soda, Yékri ou Kilibibi, etc. N’offrent-elles pas aux Guadeloupéens l’opportunité d’être présents dans ce domaine de l’industrie et de percevoir des revenus salariaux réguliers ? N’est-il pas vrai que leurs capacités de production sont réelles et présentent des potentialités d’extension et de création d’emplois, liées au développement de parts de marché ?

De manière plus globale, les filières des boissons alcoolisées ainsi que celles des boissons non alcoolisées constituent l’un des marchés les plus dynamiques et les plus concurrentiels de l’alimentaire. Pour assurer leur progression, voire leur maintien, les producteurs sont appelés à déployer des stratégies d’innovation. Les évolutions observées durant ces dernières années, notamment par le biais des rendez-vous annuels des industriels tel que le Salon International de l’Agroalimentaire (S.I.A.L), mettent en lumière différents axes d’innovation, déclinés en tendances éclectiques : l’émergence du marché du thé glacé ; les cocktails alcoolisés à base de vodka ou de rhum à destination du public des jeunes ; le marché des mix (presque) prêt-à-consommer à base de rhum, vodka ; les vins à mixer pour la confection des cocktails ; les boissons énergétiques constituées uniquement d’ingrédients naturels ; les boissons 100% naturelles obtenues avec des fruits pressés et fleurs ; etc.

Quelle satisfaction de scruter l’évolution de certaines filières industrielles pour découvrir par exemple que l’archipel a su concrétiser la modernisation de son appareil de production en l’élargissant à des activités qui ont drainé un effectif significatif de créations d’emplois au cours de ces dernières années : menuiserie industrielle, fabrication de peinture, fabrication de produits métalliques (armatures, treillis, tôles, menuiseries métalliques), etc. En centrant leurs activités sur la production destinée au secteur de la construction, c’est ce secteur des biens intermédiaires qui regroupe la majorité des effectifs salariés de toute l’industrie.

En dehors de ces sphères, c’est probablement avec étonnement que le Guadeloupéen découvrira la diversité des autres produits fabriqués dans les communes de l’archipel, en notant entre autres, la présence de l’activité de fabrication de bicyclettes et de véhicules pour invalides, la production de matelas, la fabrication de papiers jetables tels que les essuie-tout, la présence de l’industrie du carton ondulé dont les vieux papiers récupérés et recyclés constituent l’essentiel des matières premières…

Aussi, à l’opposé de ces sentiments de fierté évoqués précédemment, quelle tristesse que de constater les efforts désespérés de ces entreprises pour préserver leurs activités et en conséquence, l’emploi en Guadeloupe. C’est qu’en plus de l’acte de production, la production locale doit en outre remporter la décision de l’acte d’achat préférentiel des consommateurs locaux…

Un enseignement majeur à tirer fort logiquement de ces constats pour la Guadeloupe est que le développement de l’activité économique et par là-même, la recherche d’alternatives pour la progression de l’emploi, sont étroitement liés à cette capacité des entreprises locales à innover pour se différencier sur le marché et répondre au mieux aux attentes des consommateurs. Cette exigence est largement en cohérence avec les thèses reconnues de Michael Porter dont l’ouvrage « L’avantage concurrentiel des nations » propose un cadre analytique pour comprendre comment l’entreprise peut acquérir et conserver un avantage concurrentiel. Cet auteur montre que l’innovation est le facteurclé permettant à l’entreprise de perpétuer ses avantages compétitifs qui, dans le jeu de la concurrence, sont prédestinés à être adoptés par les concurrents situés aussi bien sur le marché domestique qu’à l’extérieur.

Au coeur des réflexions sur la redynamisation des secteurs industriels, au plan national comme à l’échelle régionale – et pour la Guadeloupe – sur la nécessité de rééquilibrer la structure de la valeur ajoutée, le renforcement des filières de l’agroalimentaire, de la fabrication des biens intermédiaires recouvre des enjeux fondamentaux. De l’élargissement et du renforcement de ces filières dépendent en effet les aptitudes de la Guadeloupe à franchir progressivement des étapes de la croissance de l’emploi donc du cheminement vers un circuit économique aux déterminants de plus en plus endogènes.

La production locale comme levier du développement endogène

Sujet controversé à certains égards, la question du « Made in France » a reçu un écho large et très favorable lors des élections présidentielles françaises de 2012. C’est que la relocalisation des activités de production sur les territoires de l’Hexagone constitue pour de nombreux économistes et hommes politiques une voie royale permettant de lutter contre le chômage.

Cette problématique nationale invite naturellement à penser à sa déclinaison au plan régional. Le choix de l’appellation « Redressement productif » pour le ministère de l’industrie est un signe fort traduisant la volonté du nouveau gouvernement d’appréhender la reconstruction du secteur industriel comme une grande cause nationale. Dans le cas de l’archipel-Guadeloupe, il va sans dire que la déclinaison logique de cette ambition industrielle devrait porter sur une stratégie de redynamisation du tissu productif industriel dans toute sa diversité. De manière plus globale, une telle stratégie devrait consister à faire du développement de la production locale une cause régionale.
La production locale pouvant être perçue comme le levier principal du développement endogène, dès lors il est utile de s’arrêter un peu sur les perspectives de sa croissance.

Revenons une fois de plus au secteur de l’agrotransformation. Il faut savoir que l’émergence de nouvelles dynamiques est parfaitement plausible. Citons un seul exemple, celui de la filière des boissons de type jus de fruits. Il y a des raisons de croire en l’élargissement du panel de produits élaborés localement avec des nouvelles boissons originales. À titre d’exemple, Juste une illustration : les smoothies obtenues facilement à partir d’eau et de fruits et légumes mixés sans additifs et sans conservateurs, pourrait fort bien faire l’objet d’une industrialisation locale et, par là même, apporter des réponses commodes en matière de santé pour favoriser la consommation des “cinq fruits et légumes par jour” ? La recherche de succès pour la commercialisation de ces smoothies et, de manière générale pour de nombreux produits locaux, passe par l’innovation dans la sphère du marketing.

Un autre secteur porteur est celui de la menuiserie industrielle. Cette filière offre de belles perspectives : mise en place de la réglementation thermique 2012, marché de la rénovation, marché du neuf avec des logements aux nouvelles normes de construction, etc. Dans l’archipel, les entreprises de ce secteur proposent une diversité de produits déclinés en plusieurs familles : volets roulants, stores, clôtures, balcons et garde-corps, menuiserie aluminium, portails, baies coulissantes, fenêtres…

Dans le registre des enjeux et perspectives, il faudrait, à notre avis, accorder beaucoup d’attention et de respect aux activités effectuées dans le champ très vaste des 200 métiers d’art et de leur gamme étendue d’outputs. Il y a la panoplie de tout ce qui est classique et que l’on rencontre dans la majorité des pays et régions développés : cuvées spéciales, porte-clés, t-shirts, livres, stylos, cartes souvenirs, lampes de poche solaires, poupées, bijoux de fantaisie, etc. Il y a ensuite la myriade des articles fabriqués par un panel élargi d’artisans et d’artistes : les vêtements personnalisés par les peintres, les instruments de musique en miniature (tambour, cloche, etc.), les créations du carnaval, les créations miniatures issues de la reproduction du patrimoine culturel (vêtements des cuisinières, vêtements de la Guadeloupe des siècles passés, etc.), les objets de l’industrie de la musique, etc.

L’archipel est en déficit d’une industrie des articles-cadeaux à l’image des filières industrielles qui alimentent les boutiques spécialisées dans les nombreuses villes à travers la planète, mais il dispose de gros potentiels qu’il s’agit de mettre en synergie et en position d’échanges intersectoriels avec le reste de l’économie.

Dans la vision d’une Guadeloupe où la production locale serait quasiment marginale, dépassant le point de vue d’une frange du grand public pour aller jusqu’à être partagée par des personnalités du monde socioéconomique, il est impératif de s’appuyer sur de tels exemples afin d’apporter des rectifications sur les réalités et potentialités du tissu productif local. Le spectre varié des produits cités tout au long de notre propos est particulièrement approprié pour souligner que le vrai problème de la production locale guadeloupéenne n’est pas tant celui de sa faisabilité mais plutôt ses difficultés de pénétration et de pérennisation de son marché domestique. Il est sûr que les intrants sont importés pour une large frange des produits, mais il est tout aussi certain que la fabrication de ces derniers demeure locale.

Conclusion

Aujourd’hui, le tissu industriel et les autres branches productives de la Guadeloupe s’illustrent certes par leurs multiples facettes et donc par la richesse de leurs images sectorielles. Mais le revers de la médaille est que leur potentiel de création de valeur ajoutée est loin d’être optimal.

Au cours des deux dernières décennies en particulier, un certain nombre d’entreprises ont fait le pari d’approvisionner le marché domestique par des productions locales en lieu et place des importations. Cette stratégie de l’import-substitution contribue ainsi en partie à la reconfiguration de l’appareil productif, entre la modernisation de ses filières traditionnelles, le prolongement et la rupture avec ces dernières et, l’ouverture vers de nouveaux produits et métiers générateurs d’activités.

C’est un fait, la Guadeloupe recèle des potentialités réelles dans ces domaines, qui ne sont hélas ! pas considérées à leur juste valeur. En outre, d’autres facteurs constituent un frein à leur expansion.

Mais réussir la nécessaire reconfiguration du modèle de développement économique guadeloupéen implique le cheminement vers une stratégie de croissance de la production locale. Dans l’une de ses premières déclarations, le nouveau ministre du redressement productif Arnaud Montebourg aaffirmé clairement :

« Je lancerai dans quelquessemaines un appel à tous les Français de bonnevolonté pour qu’ils nous apportent leurs idées »

pour la « reconstruction de notre appareil productif », « grande cause nationale ».

Il va de soi que cet appel concerne les Guadeloupéens et que l’une de ses déclinaisons sur les territoires de l’archipel est une invitation à faire du développement de la production locale une cause régionale.

N’est-il pas grand temps pour les Guadeloupéens de cesser d’être les spectateurs des mutations du tissu économique pour devenir les acteurs de ses futures transformations ?