Directeur de Cabinet, Ville de Baie-Mahault.
Avec l’adoption de la réforme territoriale, on se dirige vers la fin d’une gestion traditionnelle des collectivités locales. Afin de ne pas subir cette réforme, celles-ci devront faire preuve de davantage d’innovation et d’audace pour réduire les incidences du rétrécissement de leurs marges de manœuvres financières.
Depuis l’avènement de la crise économique internationale, les collectivités territoriales évoluent
dans un univers financier renouvelé. Après avoir amélioré leur situation financière, les administrations locales vont devoir faire face à une période qui s’ouvre, bien plus contraignante, en raison de la raréfaction des fonds publics. L’augmentation de la dette publique locale progresse obérant par la même le déficit public de l’Etat. Or, la France doit respecter scrupuleusement ses engagements européens imposés par le pacte de stabilité et de croissance dérivé du traité d’Amsterdam de 1997. Avec une dette publique de 1600 milliards d’euros, la France fait l’objet d’une attention vigilante de la part de la Commission européenne. L’Etat se voit alors contraint de limiter les transferts financiers en faveur des collectivités locales.
Après le discours du premier ministre François Fillon qui fit le constat d’une faillite de l’Etat pour justifier la nécessité d’une politique budgétaire plus rigoureuse, le Président de la République à Petit-Bourg, dans le cadre des vœux à l’outre-mer n’a pas infirmé cette tendance. Le chef de l’Etat encourage les élus locaux à prendre leurs responsabilités et il appelle tout un chacun à participer à l’effort de solidarité nationale, pour réduire la dette.
I – UN CONTEXTE CONTRAIGNANT
A ce dogme, qui trouve son origine dans la volonté du gouvernement français de conserver sa notation financière internationale en triple A et sa traduction concrète dans l’application de la RGPP (révision générale des politiques publiques), dont la conséquence immédiate est le gel annoncé pour 3 ans des dotations de l’Etat, viennent s’ajouter d’autres mesures qui ont pour effet d’accroître les difficultés des collectivités territoriales.
Le transfert des compétences des assemblées locales entraîne un surcoût dans les budgets régionaux et départementaux qui, à terme, leur permettra difficilement de participer au financement des projets communaux.
Depuis l’acte II de la décentralisation, on assiste à un accroissement des compétences confiées aux départements : le fonds d’aide à la jeunesse (FAJ) destiné à soutenir l’intégration sociale et professionnelle des jeunes (entre 18 et 25 ans) en difficulté tout en leur fournissant des aides et des financements temporaires dans les situations d’urgence; le fonds de solidarité pour le logement (FSL), qui propose aux personnes en difficultés des aides à la location de logements. Depuis 2006, les départements gèrent également le financement de la prestation de compensation du handicap (PCH) qui est amenée à remplacer l’allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), et une partie des personnels Techniciens et Ouvriers de Service (TOS) des collèges publics.
Quand bien même la Constitution prévoit la compensation financière au bénéfice des collectivités territoriales dès lors qu’il y a transfert de compétences, il n’en demeure pas moins qu’on peut craindre une impossibilité pour le département de faire face à ces nouvelles charges.
Les compétences qui lui sont dévolues, le profil social de la Guadeloupe, ainsi que le taux de chômage (23,8%) qui est nettement supérieur à celui de la France hexagonale (9,3%) imposeront une certaine rigidité dans la gestion des finances départementales durant les prochaines années.
En Guadeloupe, l’Etat pourrait avoir sous-estimé le coût réel des charges transférées au conseil général (l’exemple du RMI). « Des indicateurs sociaux en amélioration mais demeurant défavorables.
Les contraintes structurelles de l’économie guadeloupéenne ont des répercussions sociales évidentes comme en témoignent le niveau élevé du taux de chômage ou le nombre d’allocataires de minima sociaux ». « En 2010, plus de 16% de la population bénéficiaient directement ou indirectement du RMI contre 1,8% en métropole ». En résumé, il est fort à parier que ces contraintes vont peser sur le taux d’investissement du Département et sa participation au financement des projets communaux. Les contraintes départementales sont effectivement fortes, mais la collectivité parvient tout de même à maintenir un programme annuel d’investissement de 100 millions d’euros, lequel profite notamment à la mise en œuvre d’une stratégie d’évaluation des politiques publiques.
Acteur majeur du développement économique et de la planification urbaine, la collectivité régionale, quant à elle, apparaît comme étant l’unique collectivité en mesure d’investir les nécessaires politiques de développement et d’aménagement du territoire (schéma régional de développement économique, schéma d’aménagement régional, schéma de mise en valeur de la mer…).
Les finances régionales seront également impactées par la réforme territoriale par ce même jeu de transferts de compétences. L’absence de maîtrise de la fiscalité locale et les incertitudes qui pèsent sur l’octroi de mer (ROM) constituent d’autres sources de préoccupation pour la Région.
En outre, les demandes d’habilitation sollicitées par la collectivité régionale, entendant ainsi élargir son champ d’action (notamment dans le secteur des énergies renouvelables, et plus largement dans celui du développement durable), auront pour effet de réduire encore davantage l’enveloppe régionale qui ne sera plus en mesure de maintenir son niveau d’investissement.
Les transferts de compétences opérées ont globalement présenté, pour les départements et les régions, un rythme d’évolution largement supérieur à celui des recettes destinées à la compenser.
A l’accroissement de ces transferts de compétences aux assemblées locales, s’ajoutent, les effets de l’élargissement de l’Union Européenne, la suppression de la taxe professionnelle et l’obligation qui est faite par le législateur d’adhérer avant 2013 à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.
Tous ces éléments conjugués fragilisent en premier lieu, la commune, collectivité territoriale de base, car au plus près des administrés et de leurs attentes. Son fonctionnement et le financement de ses projets risquent d’être entourés d’incertitude.
Par ailleurs, l’élargissement de l’Union Européenne va vraisemblablement entraîner une diminution des fonds européens (FEDER, FSE, FEOGA). La future programmation des fonds 2014-2020 connaîtra une réforme en profondeur.
Les communes seront directement concernées car elles émargent également à ces fonds contrairement à une idée communément admise. Même si les collectivités municipales ne disposent pas toujours en interne de l’expertise nécessaire, elles parviennent à constituer des dossiers de financements européens (par le biais des cabinets de conseils). Pour autant, elles doivent surtout faire face, à deux obstacles majeurs : d’une part, l’apport de financement sans cesse croissant, (cette part communale en moyenne de 25% approche désormais les 50%) et d’autre part, le fait pour les communes de supporter dans leur budget l’intégralité du montant de l’investissement en attendant de recevoir les cofinancements (alors même que les prêts relais ne leurs sont pas toujours accessibles car trop élevés).
Enfin, la gestion des fonds européens est soumise aux nouveaux critères dictés par le concept de l’earmarking issu du Traité de Lisbonne
Ces critères de compétitivité et d’innovation ne sont pas faits pour correspondre aux réalités des territoires dont les infrastructures accusent un certain retard (ex : l’Europe ne finance que les transports intelligents alors que la Guadeloupe doit rattraper son retard sur un système de transport traditionnel).
L’avenir de l’intercommunalité est au cœur de la réforme des collectivités territoriales qui se prépare. Moins évoqué que la possible fusion des départements et des régions, ce dossier est pourtant d’une grande importance, car au cœur du débat sur l’évolution des finances locales.
L’intercommunalité apparaît aujourd’hui comme la nouvelle et bonne échelle de développement.
Mais, force est de constater que l’adhésion d’une commune à un EPCI à fiscalité propre peut, dans un premier temps, avoir une incidence sur sa fiscalité locale. En effet, et alors même que l’on met en avant (à juste titre) les économies et rendements d’échelle qui peuvent découler d’un regroupement de communes, il arrive dans certains cas particuliers, que ce changement se traduise pour le contribuable, par une augmentation des impôts.
La fiscalité s’intercommunalisant, les communes ayant une faible fiscalité voient leur impôt augmenter pour atteindre la moyenne des taux d’imposition des communes membres de l’EPCI .
En effet, depuis sa création et sa généralisation dans les années 1990, l’intercommunalité est présentée comme l’échelon censé permettre une meilleure cohérence de l’action locale et une plus grande efficacité grâce à des économies d’échelle.
Sa construction intervient avec pour objectif de contourner la dispersion de l’action locale au travers
de 36 000 communes. Aujourd’hui 93% des communes sont couvertes par une intercommunalité (métropole). Mais cet échelon est, en même temps, le plus critiqué : l’augmentation des impôts locaux, l’envolée des personnels et l’inflation des dépenses sans aucun contrôle démocratique sont autant d’éléments venant en soutien des réflexions.
Compte tenu des compétences transférées (développement économique, aménagement de l’espace, environnement, politique de la ville), certains impôts, taxes où autres redevances ne relèvent plus de la collectivité communale mais de l’EPCI compétente. (La taxe d’enlèvement des ordures ménagères, la contribution économique territoriale qui remplace la taxe professionnelle).
La suppression de la taxe professionnelle va peser sur les capacités financières des collectivités territoriales ainsi que sur leurs marges de manœuvre financières. Ceci devrait conduire à une réduction, de l’autonomie financière.
Plus précisément, la suppression de la taxe professionnelle entraînera des changements profonds pour toutes les collectivités territoriales. Poumon économique de la Guadeloupe, la ville de Baie-Mahault en raison des caractéristiques de sa zone industrielle et commerciale verra diminuer ses ressources financières. En effet, les entreprises les plus importantes sont dites « industrielles » et de ce fait, possèdent une part importante d’équipement biens mobiliers (EBM). La suppression de cette part EBM diminuera mécaniquement ses ressources.
Les nouvelles implantations d’entreprises industrielles classiques ne seront plus aussi bénéfiques pour les collectivités. Enfin, une grande incertitude plane également sur le mode de compensation de l’Etat qui, du moins à ce stade de la réforme, demeure fixe, et supprime donc la dynamique des bases de la taxe professionnelle observée ces dernières années.
Parallèlement, l’inflation normative (obligation de mise aux normes sismiques, sécurité, accessibilité,…) fait peser de plus en plus de contraintes sur les budgets des collectivités territoriales qui voient exploser le coût de leurs projets. Enfin, le niveau d’exigence croissant des usagers vis-à-vis de la qualité du service rendu (environnement, écoles, infrastructures routières,…) achève de consommer les fonds publics mis à disposition.
II- LA CRISE, UNE CHANCE POUR LES COMMUNES : Vers une modernisation de la gestion locale
Ces nouvelles contraintes supposent que les collectivités territoriales modernisent la gestion locale afin de la rendre plus performante. Les communes sont les premières concernées. Au lieu de subir un contexte qui s’annonce difficile, les acteurs locaux (élus, cadres, entreprises, associations, citoyens,…) doivent considérer cette crise comme « une chance pour les collectivités territoriales », un moyen de sortir d’un conformisme ambiant, des pratiques d’un autre temps et de méthodes éculées.
Les collectivités territoriales doivent saisir cette opportunité pour ancrer leurs politiques publiques dans la démarche d’innovation ainsi que la recherche de nouveaux modes de gestion : les partenariats publics privés (PPP), les délégations de services publics (DSP), les concessions, l’affermage,…
Il ne s’agit nullement de faire ici la liste des différents modes de gestion public mais de signifier qu’il n’existe pas un mode de gestion unique, celui de la gestion directe.
Aussi et parce que, le rôle d’élu local ne peut se résumer à « gérer la misère mais à transformer la société », pour citer Patrick Chamoiseau, les collectivités territoriales doivent désormais transformer le réel, étudier de nouvelles pistes pour créer de l’activité économique pérenne et des emplois nouveaux. Les secteurs, tels que le développement du nautisme, des technologies de l’information et de la communication, de l’agro-transformation constituent des pistes dignes d’intérêt.
Dans le même temps, les collectivités ne sauront faire l’économie d’une politique de rigueur devant conduire à une maîtrise des dépenses publiques, une diminution des coûts de fonctionnement (recrutement) et une externalisation de certains services publics. Rendre plus efficiente l’action des collectivités locales, faire autant (voire mieux) avec moins, promouvoir l’expertise partout où elle se trouve, semble s’imposer comme nouveau crédo.
Ces questions se poseront et cela peu importe les choix institutionnels qui seront adoptés. L’évolution institutionnelle, une nouvelle architecture institutionnelle ne participe t-elle pas de cette « nouvelle gestion » ?
On assiste progressivement à une remise en cause du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Le président Nicolas Sarkozy l’a rappelé lors de son discours des vœux à l’outre-mer, « lorsque les élus n’exerceront pas pleinement les compétences attribuées, le préfet se substituera à eux ».
Nous sommes légitimement en droit de nous interroger : Peut-on encore affirmer que les collectivités se gèrent et s’administrent librement ? La réforme territoriale remet-elle en cause la décentralisation ?
C’est dans ce contexte, d’évolution institutionnelle, de réforme territoriale, que les collectivités locales devront se poser la question de savoir comment amortir les incidences de la diminution de leurs marges de manœuvres financières ?