M. Jean-Claude LOMBION,
Maire de Morne-à-l’Eau, Secrétaire Général de l’Association des Maires de Guadeloupe Journée Outre-Mer
Hôtel de Ville de Paris.
L’analyse de la situation financière des communes de la Guadeloupe ou des pays de l’Outre-Mer français, en général, doit tenir compte de l’histoire de ces pays. Elle n’est donc pas comparable, en bien des points, à celle des collectivités communales de la France continentale.
A l’époque du vote de la loi de Départementalisation, en 1946, nos pays souffraient d’un manque chronique d’infrastructures routières, scolaires, de santé, etc, mais nous étions moins dépendants économiquement, notre balance commerciale étant excédentaire. La deuxième Guerre Mondiale, tout en sacrifiant de nombreux jeunes Antillais sur les fronts et dans la Résistance française (certains échappant au Régime de Vichy à travers la Dissidence) a aussi créé les conditions d’un développement endogène de survie et de créativité.
Puis, peu à peu, la Départementalisation, d’abord administrative, puis dite économique, tout en améliorant les conditions objectives du développement dans divers domaines, a créé une société de consommation qui s’est substituée à la société de production basée essentiellement sur les cultures de la canne et de la banane, sur la pêche et quelques spéculations vivrières.
Enfin, toutes les usines à sucre ayant fermé les unes après les autres, dans un contexte où les sous-produits de la canne et de la banane, notamment, étaient largement sous-utilisés, le poids du rôle social des communes s’est accru et celles-ci sont devenues les plus gros employeurs de nos pays, sans que, par la suite, il y ait eu une politique de développement économique et humain devant permettre d’alléger les charges des chefs d’édilité.
I – UNE SITUATION ANCIENNE, EMPREINTE DU FAIT COLONIAL
Les difficultés financières des communes, à l’instar de celles, plus globales, de la Guadeloupe, perdurent depuis trois décennies, suite à l’arrêt, notamment, des trois usines à sucre parmi les plus importantes du pays : Blanchet, Beauport et Darboussier.
Aujourd’hui, seulement deux usines fonctionnent au lieu de la vingtaine qu’il y avait au début du siècle dernier, une sur la grande île, en Grande-Terre, l’autre à Marie-Galante, île du sud.
Les projets de développement du tourisme de luxe qui avaient été entrepris dans les années 60 n’ont pas permis à la Guadeloupe d’être compétitive dans la zone caraïbe. Plus tard, les investissements privés locaux, consentis pour promouvoir un tourisme plus populaire, se sont souvent heurtés aux freins du pouvoir financier des banques, en même temps que le secteur souffrait de fluctuations dues à l’acuité des problèmes sociaux en même temps qu’à un manque d’organisation rationnelle. L’absence de vision stratégique, doublée d’un contexte économique déplorable s’ajoutant aux causes du marasme actuel.
De plus, la nature des liens qui unissent les pays de l’Outre-Mer français à la France continentale a conservé, selon les propos du Président Giscard d’Estaing au début des années 70, les vestiges d’une colonisation qui freine toute évolution.
II – DES EFFORTS DE GESTION,UNE SITUATION ALARMANTE
Pourtant, en dépit d’un tableau alarmant aux plans économique et social, la gestion des communes de Guadeloupe est correcte, faite de sacrifices permanents et de limites drastiques, et le nombre de celles qui se trouvent sous le contrôle de la Chambre Régionale des Comptes a considérablement diminué.
Toutefois, neuf (9) communes sur 32 ont une épargne négative, ce qui laisse planer beaucoup d’inquiétudes quant à la capacité d’autofinancement de celles-ci.
Cette capacité d’autofinancement (CAF) brute ou taux d’épargne, est inférieure de 15% à celles des communes de la France continentale (source DGCL). Dans la structure du budget, le taux des charges de fonctionnement est très élevé, beaucoup plus qu’en France continentale, surtout à cause de la hausse abusive des prix des produits de première nécessité, source de tous les errements, et à l’origine, pour partie, de la longue mobilisation qui a paralysé la Guadeloupe l’an dernier. De plus, la masse salariale, plus élevée qu’en France continentale et progressant plus vite que les ressources, plombe les budgets (56% des dépenses du budget, en moyenne).
III – PARTICULARISMES DE « L’OUTRE-MER » FRANÇAIS
Aujourd’hui, encore, l’emploi public constitue un moyen pour traiter socialement le chômage endémique qui sévit en Guadeloupe, financé par l’impôt, ce qui constitue une aberration dans un environnement où tout pousse et où la pêche ainsi que les activités de montagne et de la mer constituent, avec les énergies renouvelables, des niches essentielles de développement durable.
Les charges excessives de centralité pénalisent lourdement les deux villes principales, commerciales et administratives –villes capitales- que sont Pointe-à-Pitre et Basse-Terre. Leur population diminue tandis que les frais de gestion augmentent. Leurs équipements sont vétustes, ce qui entraîne une dévitalisation de l’activité économique et commerciale traditionnelle au profit de nouvelles zones d’activité situées à la périphérie.
Le potentiel fiscal qui permet de mesurer la richesse des communes est très faible par rapport à celui des communes de la France continentale. Les disparités sont là, les particularismes aussi.
D’ailleurs, je suis toujours surpris, en sillonnant l’Hexagone, de voir comment les communes et villes moyennes ou petites étaient bien pourvues en équipements et infrastructures (gymnases, théâtres, patinoires, cinémas, médiathèques, trottoirs, routes en bon état, transports publics, etc.) alors que nous en sommes, pour la plupart, totalement démunis. Signe des disparités réelles existant entre nos régions de la France continentale et de la France d’Outre-mer.
Notre marge de manœuvre fiscale repose exclusivement sur la fiscalité indirecte, soit 65% des recettes fiscales (octroi de mer, taxe sur les carburants,etc.). Cela est inhérent au fait que les bases fiscales sont très étroites et insuffisamment optimisées. La richesse fiscale est mal répartie sur l’ensemble de notre territoire.
Quatre communes de l’agglomération pointoise se partagent 40% des recettes fiscales, ce qui creuse l’écart entre les communes à fort potentiel fiscal et celles à faible potentiel fiscal.
De plus, les ressources fiscales sont sérieusement menacées par la réforme de la taxe professionnelle. Certaines de nos communes ne sont pas endettées, mais les taux moyens des prêts à long terme sont élevés. Cela explique l’importance pour nos communes des subventions allouées par les collectivités majeures (Région, Département) et l’Etat. Il serait d’ailleurs judicieux d’aligner les taux proposés dans nos territoires à ceux pratiqués en France continentale.
IV – QUELQUES ANALYSES COMPLÉMENTAIRES
Avant de conclure et en guise de propositions, j’aimerais me référer à la motion adoptée par les maires et parlementaires de Guadeloupe, le 5 mai dernier, dans laquelle il est fait référence au contexte économique, social et géo-climatique du pays en insistant sur les difficultés budgétaires conjoncturelles et structurelles des communes.
Les maires et parlementaires affirmaient également que l’environnement économique et social spécifique était générateur de charges exceptionnelles qui grevaient les budgets des communes sans que la fiscalité directe réponde aux besoins financiers. En plus de l’éloignement des centres de décision gouvernementaux, et en dépit de l’existence des lois de décentralisation, nous souffrons encore d’une dépendance économique et commerciale accrue vis-à-vis de la France continentale et de l’Europe. Si bien que les efforts faits par nos communes pour rattraper leur retard sont considérables, à un moment où la gestion de la collecte et du traitement des déchets vient alourdir le poids de nos dépenses de fonctionnement.
Rappelons pour mémoire que le montant des dépenses de personnel par habitant dans les pays de l’Outre-Mer français est de 38% supérieur à celui de la France continentale. C’est énorme !
De même, notre situation archipélagique est à la fois une richesse – si on l’exploite dans une perspective de développement durable – ou un handicap quand tous les clignotants économiques sont au rouge. Tel est le cas aujourd’hui. La plupart des communes ne peut structurellement dégager d’excédent de fonctionnement.
Enfin, le chômage et le sous-emploi réduisent considérablement la capacité contributive des habitants.
L’on nous incite à développer le logement social dans nos communes alors que tous ceux qui s’installent dans ces logements et bénéficient ainsi des services communaux, ne contribuent pas à accroître la richesse communale, dans un contexte où, pour rendre un meilleur service au citoyen, nous avons besoin de moyens financiers nouveaux.
V – LA MOTION DES MAIRES DE GUADELOUPE
Dans la motion, les maires et parlementaires guadeloupéens demandaient au Président de l’Association des Maires de France, Jacques PELISSARD, qui nous avait fait l’honneur et l’amitié de nous rendre visite jusqu’en Guadeloupe, d’interpeller le gouvernement sur des points pouvant permettre d’améliorer la situation financière des communes et conduire progressivement à leur autonomie financière.
Ces points sont les suivants :
1 – Solliciter de l’Etat la suppression de la part de cotisation de CGSS, d’IRCANTEC et de CNRACL frappant la majoration de 40% de vie chère attribuée aux fonctionnaires territoriaux en activité en Guadeloupe, d’autant plus que cette majoration n’est pas prise en compte dans le calcul de la pension de retraite versée à ces agents.
2 – Solliciter du Conseil de l’Union européenne le maintien du régime de l’octroi de mer, ressource essentielle des communes, menacée par l’échéance du 1er juillet 2014.
3 – Solliciter de l’Etat que toutes les dispositions soient prises par les comptables publics pour l’encaissement des recettes locales trop souvent déclarées irrécouvrables sans que les procédures indispensables aient été mises en œuvre pour éviter l’admission en non-valeur.
4 – Renforcer et amplifier le dispositif de redressement financier dit « Cocarde » (Contrat d’Objectifs d’Aide à la Restructuration et au Développement) en l’élargissant à l’ensemble des communes qui le souhaitent, sous forme de contrat à long terme, de subventions d’équilibre plus conséquentes et de prêts à long terme plus élevés.
5 – De garantir aux communes de l’Outre-mer français que la réforme de la taxe professionnelle ne provoquera pas une perte des produits de la fiscalité perçus autrefois dans le cadre de cette taxe.
6 – De prendre en considération le caractère archipélagique de la Guadeloupe et les conséquences dommageables qui en résultent pour les îles du Sud, en compensant les surcoûts résultant de l’éloignement, par une majoration spécifique de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF).
Par ailleurs, les Maires souhaitaient « nouer un partenariat fort avec l’Etat », en coopérant avec les services fiscaux au renforcement des services cadastraux. Cela permettra d’identifier l’intégralité des bases imposables et d’accroître le taux de recouvrement brut des impôts.
Une application, à très court terme, de ces mesures, pensions-nous alors, était de nature à améliorer considérablement la situation financière des communes. Nous attendons encore d’être entendus…Par l’AMF et par le Gouvernement français.
Ainsi, l’autonomie financière des communes pourrait être progressivement acquise. Mais l’enjeu est de taille dans l’Outre-Mer français où les jeux de hasard venant de France sont très prisés mais dont les produits bénéficient exclusivement à La Française des jeux, où les milliards des opérateurs téléphoniques enrichissent les économies de l’Hexagone, où les milliards de la publicité ou les bénéfices des produits importés retournent en France, où les milliards collectés très insuffisamment – vu l’absence de moyens – par les services de la douane ne font que transiter par la Guadeloupe, où les milliards de l’impôt sur le revenu du secteur tertiaire – le plus important en Guadeloupe – reviennent aussi en France. J’arrête là l’énumération, je pourrais la poursuivre…
Bref, beaucoup d’argent transite dans le pays, passe dans nos communes sans y rester pour contribuer, même partiellement, à assurer une certaine autonomie financière pour les années à venir.
Un autre enjeu de taille, qui permettrait, à travers une gouvernance plus adaptée à nos territoires et plus en phase avec notre appartenance à l’archipel caribéen, au cœur du continent américain, serait d’envisager, par le biais d’une intercommunalité de projets et d’objectifs, le développement, dans le cadre d’aides et de financements appropriés, des atouts économiques, culturels, sportifs, environnementaux et patrimoniaux de notre pays.
VI – EN GUISE DE CONCLUSION
La nature est belle chez nous, nos peuples sont accueillants, même si rebelles quelquefois, comme le peuple français qui a connu ses révolutions. Le tourisme mérite d’être mieux appréhendé pour que la population et les communes en vivent ; le thermalisme mérite également d’être valorisé en tant qu’axe majeur de développement durable; les sports nautiques et les activités de la mer (la Route du Rhum vient de se terminer) peuvent permettre à nombre de communes d’en tirer profit pour leur développement ultérieur.
Autant de pistes pour parvenir à une forme d’autonomie financière qui ne pourrait exister réellement sans l’implication de l’Etat dans la valorisation de toutes nos potentialités, et sans qu’au niveau du pays tout entier, il y ait cette même démarche dans la recherche d’une autonomie financière qui permettrait de s’affranchir de l’assistanat, des lourdeurs, des lenteurs et des freins d’une administration hexagonale beaucoup plus tournée vers le règlement des problèmes franco-français et européens que vers la recherche de solutions pour l’Outre-mer.
D’ailleurs, l’an dernier, se sont tenus les Etats Généraux de l’Outre-mer, à la demande du Président Sarkozy, suite à la crise qui avait agité nos pays lointains, orchestrée en Guadeloupe par le Lyannaj Kont Pwofitasyon (LKP). Qu’en est-il ressorti ? Une déclaration d’intention du Chef de l’Etat, puis rien… La montagne a accouché d’une souris…
Pour trouver des solutions nous permettant d’accéder à une certaine autonomie financière pour nos communes, nous devons donc d’abord compter sur nous-mêmes, sur notre intelligence, sur les aptitudes des nouvelles générations, sur notre niveau de formation et d’expertise, dans la coopération solidaire avec toutes les communes de France et surtout, de l’Outre-Mer français. C’est ensemble que nous parviendrons à imposer à ceux qui nous gouvernent les solutions qu’attendent nos communes et nos populations.
Poursuivons donc la réflexion collective et le combat pour atteindre, pas à pas, l’autonomie financière de nos communes.
Je vous remercie.